Une révolution pour l’industrie du logiciel


Jusqu’à présent, les éditeurs de programmes ont eu la « belle vie », selon l’expression de Damien Doligez, chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). L’industrie du logiciel n’a en effet jamais eu, au cours des vingt dernières années, à se remettre profondément en cause. Mais elle sera, dans un tout proche avenir, confrontée à une révolution.

« Ce qui a récemment été annoncé par Intel et AMD est capital pour le futur de l’industrie du logiciel, déclare Bernard Ourghanlian, directeur technique de Microsoft France. En raison de la production de chaleur par les composants, les constructeurs ne pourront plus, à l’avenir, continuer à augmenter la fréquence de fonctionnement de leurs processeurs. » Pour poursuivre l’augmentation des performances de leurs puces tout en limitant l’accroissement de leur cadence, Intel ou AMD devront généraliser le principe des processeurs multicœur. Un principe que viennent de mettre en œuvre IBM, Sony et Toshiba, avec la création du Cell, un processeur à neuf cœurs.

Avec l’avènement de telles architectures et la stagnation des cadences, explique M. Ourghanlian, « on ne pourra plus, comme c’est le cas aujourd’hui, augmenter les capacités d’un programme en partant du principe que les fréquences de cadencement des processeurs augmentent ». Pour exploiter à plein ces nouvelles puces, les programmes devront donc changer radicalement d’architecture. « Il faudra pour cela les « paralléliser« , confirme M. Doligez. Or, si on sait à peu près faire cela pour certaines applications, par exemple des programmes de traitement de l’image, on ne sait pas le réaliser dans le cas général. »

Cette difficulté est inhérente aux limites cérébrales de l’homme, qui, selon l’expression de M. Ourghanlian, « est incapable de penser en parallèle ».« Cela fait vingt ans qu’on essaie, sans succès, de bien programmer en parallèle, poursuit M. Ourghanlian. Et si cette situation semble ignorée de la majorité des observateurs, elle n’en représente pas moins un problème extrêmement grave pour toute l’industrie du logiciel : nous sommes aujourd’hui au pied du mur. »

PARALLÉLISME ET COMPLEXITÉ

Ces obstacles, que rencontreront les industriels dans les cinq à dix prochaines années, seront rehaussés par la complexité croissante des logiciels. Certains d’entre eux atteignent déjà un nombre de lignes de code hors de portée de l’entendement humain. Y traquer les inévitables erreurs de programmation – les bogues – relève de plus en plus de la gageure. Or l’écriture de code en parallèle, lorsqu’elle est envisageable, génère beaucoup plus d’erreurs que la programmation classique.

Face à ces deux défis – parallélisme et complexité -, les industriels du software devront bouleverser leurs modes de production. Aujourd’hui, ceux-ci s’apparentent plus « à un artisanat qu’à une véritable industrie », reconnaît M. Ourghanlian. L’une des pistes explorées concerne le développement des interfaces graphiques permettant de générer du code informatique à partir d’un cahier des charges établi par le programmeur. De même qu’il est aujourd’hui possible d’utiliser un ordinateur sans en passer par l’écriture d’instructions en langage informatique, il serait ainsi envisageable de programmer des logiciels sans avoir à en écrire directement le code. De telles interfaces graphiques commencent à voir le jour, mais elles sont encore loin de remplir les missions qui pourraient, à l’avenir, leur être assignées, notamment produire du code parallélisé et exempt de bogues.

Dans ces domaines, les difficultés théoriques sont très importantes. Si grandes qu’elles pourraient amener les industriels à revoir leurs méthodes de production, mais aussi une part de leur modèle économique. C’est, en tout cas, l’objectif affiché par le géant américain du logiciel. Selon M. Ourghanlian, « Microsoft est engagé, partout dans le monde, dans une politique de partenariats avec de grands centres de recherche ».

« Jusqu’à présent, Microsoft travaille en autarcie et crée de la propriété intellectuelle dans ses laboratoires, résume M. Ourghanlian. Mais les problèmes qui sont devant nous sont tels que nous n’avons pas la prétention de penser que nous pourrons seuls les résoudre. » Outre les seules questions du parallélisme et de la complexité, l’avenir à long terme de l’informatique passe en effet par des disciplines relevant plus de la recherche fondamentale que de la R & D : calcul quantique, nanotechnologies, etc.

Auteur : Stéphane Foucart

Source : www.lemonde.fr


En savoir plus sur Invention - Europe

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

C'est à vous !

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close