L’origine du monde


Molécule par molécule, des chercheurs assemblent de puissants microprocesseurs. D’autres travaillent à mettre au point de minuscules robots qui, injectés dans le corps humain, tueront les cellules cancéreuses. Pas de doute, le Québec craque pour l’infiniment petit.

Elles sont 30 000 fois plus petites qu’un cheveu. Mais ajoutées à la peinture d’une voiture, des particules d’un milliardième de mètre  » ou un nanomètre  » la rendent plus résistante aux égratignures. Et intégrées à un tissu, elles l’imperméabilisent ou le protègent contre les taches. Un quart de siècle après l’invention du microscope permettant d’examiner des atomes, les nanotechnologies commencent à voir leurs premières applications industrielles.

Dans le secteur de la santé, les perspectives sont très prometteuses. Déjà, on parvient à enfermer les ingrédients actifs de médicaments dans des microcapsules qui les «livrent» là où le corps en a besoin. Cette méthode, la libération contrôlée, sert déjà au traitement du cancer de la prostate.

Et l’industrie croit à l’avenir des nanotechnologies. Selon la société-conseil américaine Lux Research, en 2014, les ventes de produits issus des nanotechnologies devraient atteindre 2 600 milliards de dollars US dans le monde. Ce secteur comptera alors quelque 10 millions d’emplois industriels, tous pays confondus. Plus modéré, le directeur général de NanoQuébec, Robert Nault, estime que, pour la même année, les ventes atteindront de 1 000 à 1 200 milliards de dollars US sur la planète. «C’est un marché énorme!» juge le dirigeant de cet organisme sans but lucratif créé pour favoriser le développement des nanotechnologies dans la Belle Province.

Les rois de la RD

«Trois régions importantes occupent le haut du pavé en matière de nanotechnologies : les États-Unis, le Japon et l’Europe, affirme Robert Nault. En 2006, on prévoit qu’un nouveau produit relié aux nanotechnologies devrait être créé chaque jour dans le monde. Par ailleurs, les investissements sont très importants. En 2005, aux États-Unis, le gouvernement a investi 1,2 milliard de dollars dans la recherche et le développement. De leur côté, les entreprises y ont consacré 1,8 milliard de dollars.»

Avec ses quelque 200 millions investis en 2005, le Canada figure beaucoup plus loin sur la liste. Or, il peut se tailler une place intéressante dans la course à l’infiniment petit, juge Robert Nault, puisqu’on y trouve plusieurs pôles de développement, dont Montréal, Toronto, Ottawa, Edmonton et Vancouver. C’est toutefois le Québec qui détient la position de tête. «On y trouve environ 40 % des entreprises et des chercheurs du pays. Une enquête menée en 2005 en collaboration avec Montréal International nous a permis de dénombrer, à Montréal seulement, 150 chercheurs. Le Québec est aussi la seule province qui possède un organisme tel que NanoQuébec, permettant de coordonner les efforts des différents intervenants du milieu.»

Dans la course

Plusieurs entreprises et instituts de recherche québécois développent des applications dont nombre d’entreprises sont friandes. Ainsi, les biocapteurs capables de détecter et d’éliminer des contaminants biologiques, les revêtements ultra-performants à base de poudres métalliques ou céramiques et les minipiles à combustible conçus ici trouvent déjà preneurs en aérospatiale, en électronique et dans l’armée, par exemple.

Avec son laboratoire de recherche en nanofabrication et son nouveau centre de prototypage installés à Boucherville, l’Institut des matériaux industriels du Conseil national de recherches Canada veut soutenir le développement de «nano-produits» bien de chez nous. «Le Québec a une carte à jouer, même s’il est clair que sa force de frappe est moindre que celle des États-Unis ou de l’Europe, dit le gestionnaire de projet Christian Bélanger. À l’Institut, nous concentrons nos efforts sur certains créneaux, principalement dans le domaine des matériaux. On pense, par exemple, aux biocapteurs que l’on peut utiliser dans le secteur de la santé et de la défense, pour détecter des maladies.

«Nous effectuons de la recherche fondamentale, puis nous faisons le lien avec l’industrie, poursuit-il. Les gens d’affaires qui utilisent les services de notre incubateur d’entreprises peuvent acheter nos brevets sous forme de licences et les commercialiser.»

Même si elle n’est pas issue de cet incubateur, Raymor Industries prospère depuis sa création en 1980. Spécialisée notamment dans le secteur des nanotubes de carbone, l’entreprise compte actuellement 30 salariés. «Nous projetons de passer à 50 employés d’ici la fin de 2006 et à 100 en 2007», précise son président, Stéphane Robert. La Bourse de croissance TSX a d’ailleurs récemment nommé Raymor l’une des meilleures sociétés publiques canadiennes en émergence. «Les nanotubes de carbone permettent de créer des matériaux 100 fois plus résistants que l’acier, mais qui pèsent un sixième de son poids et qui conduisent mieux la chaleur. Ils sont utilisés dans l’aérospatiale, par exemple», précise Stéphane Robert. De nombreuses autres entreprises sont actives au Québec. Nanometrix, par exemple, assemble des films microscopiques utilisés notamment pour stocker des données. De son côté, Biophage Pharma développe des biopolymères injectables permettant la libération progressive d’agents thérapeutiques. Et American Dye Source fabrique des nanotubes, des nanocristaux et d’autres minuscules produits aux applications multiples.

Malgré ces réussites, il faut garder en tête que le Canada a un long chemin à parcourir, croit Neil Gordon, président de l’Alliance canadienne du commerce en nanotechnologie, un organisme qui cherche à favoriser le développement du commerce lié aux nanotechnologies. «Les investissements gouvernementaux et privés sont largement insuffisants, et nous n’en sommes qu’au tout début des activités industrielles. Au Canada, la recherche et le développement sont vigoureux, mais les applications industrielles demeurent encore trop rares.»

Matière grise

«Il est impossible de cerner le nombre exact d’emplois liés aux nanotechnologies au Québec, car beaucoup de produits comportent une composante « nano ». C’est le cas d’un vernis à plancher créé au Québec, qui contient une nanoparticule le rendant plus résistant aux égratignures. Faut-il pour autant classer son fabricant parmi les entreprises du domaine des nanotechnologies ?» s’interroge Robert Nault.

Selon lui, à l’heure actuelle, les employeurs cherchent surtout des scientifiques – chimistes, biologistes, physiciens – aptes à faire de la recherche fondamentale. Les titulaires d’une maîtrise, d’un doctorat ou d’un postdoctorat sont donc les bienvenus. Une demande tend à se développer pour les techniciens aptes à se servir de l’équipement de recherche et de fabrication utilisé dans le secteur des nanotechnologies, par exemple. Mais les besoins de main-d’œuvre évolueront dès que les activités commerciales prendront davantage d’ampleur, souligne Robert Nault. Et la manne pourrait bien profiter à plusieurs, puisque les intervenants du milieu estiment que le potentiel de développement des nanotechnologies dépasse celui qu’ont connu les technologies de l’information !

GÉNIES EN HERBE

Peu importe leur domaine d’expertise, ceux qui aspirent au titre de «spécialiste de l’infiniment petit» font pour la plupart de longues études, car les universités québécoises offrent surtout des programmes de deuxième et troisième cycle dans ce domaine hyper spécialisé.

Seule l’École Polytechnique a ajouté la spécialisation Micro et nanotechnologies à un de ses baccalauréats, soit celui en génie physique. À l’École, on affirme que les 25 à 35 diplômés de chaque cohorte sont experts en résolution de problèmes et assez polyvalents pour travailler en entreprise de fabrication ou de recherche. N’empêche, la moitié d’entre eux poussent leurs études plus loin, par intérêt pour la science. «L’industrie, en particulier dans le domaine électronique, est gourmande de nos bacheliers. Mais nous formons surtout des chercheurs», confirme Alain Rochefort, professeur responsable de cette spécialisation au Département de génie physique de Polytechnique.

Pour l’instant, les techniciens fabriquent surtout des outils permettant de travailler à l’échelle nanométrique et certains nanomatériaux ou dispositifs électroniques, par exemple. Le Cégep André-Laurendeau, dans l’arrondissement LaSalle de Montréal, offre depuis mai 2004 l’attestation d’études collégiales (AEC) Fabrication et caractérisation des nanomatériaux. Ce programme, bientôt offert au Cégep John Abbott, vise à former des technologues qui assisteront les spécialistes de la RD ou produiront les matériaux.

Le Collège Ahuntsic et le Dawson College, de Montréal, proposent depuis peu une autre AEC, en nanobiotechnologie celle-là. «La plupart des candidats sont des bacheliers en sciences qui désirent acquérir une formation pointue pour travailler sur le terrain», souligne Lucie Brouillette, responsable du programme au Collège Ahuntsic. Les diplômés pourront participer à des travaux de recherche et développement ou à la production de systèmes utilisant, par exemple, des biocapteurs pour détecter des contaminants environnementaux.

Auteur : Emmanuelle Gril

Source : carriere.jobboom.com


En savoir plus sur Invention - Europe

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

C'est à vous !

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close