Retour vers le futur


La première auto hybride a fait son apparition en… 1899. Et elle reviendra en force, disent les experts : «À long terme, la voiture ne peut pas être autrement qu’électrique.»

On a oublié qu’au tournant du XXe siècle, alors que Paris inaugurait la tour Eiffel, il y avait en Amérique du Nord plus de voitures électriques que d’automobiles à moteur thermique. Et tout le monde a oublié que la voiture hybride, cette merveille de technologie énergétique et informatique — en voie de renouveler une industrie encroûtée dans des solutions traditionnelles depuis un siècle –, a fait son apparition en 1899, signée par un jeune ingénieur autrichien qui s’appelait Ferdinand Porsche !

À cette époque, où le moteur à combustion a commencé à gagner la course contre les voitures électriques en raison de son autonomie, Louis Krieger arrivait pourtant à relier Paris et Chatellerault avec une hybride, l’Électrogénia, sans recharge sur 307 km, mais à une vitesse moyenne de 17,5 km/h.

Pascal Griset, qui a écrit avec Dominique Larroque L’Odyssée du transport électrique, publié en 2006 aux Éditions Cliomedia — un livre non disponible au Québec –, ne voit pas les hybrides comme des technologies de transition, du moins les hybrides comme le système à moteurs-roues construit par Pierre Couture d’Hydro-Québec ou le prototype similaire dévoilé par Volvo au Salon de l’auto de Detroit, car ces véhicules sont de véritables voitures électriques avec un mode de production électrique «embarqué».

«Quand on aura un peu plus de recul, on verra que c’est le moteur thermique qui aura été le mode de transition entre les premières tractions électriques et les systèmes embarqués qui remplaceront les batteries, piles à combustibles ou génératrices. À long terme, la voiture ne peut pas être autrement qu’électrique», affirmait-il en entrevue au téléphone hier de sa résidence à Paris.

L’histoire de l’automobile électrique commence vraiment en 1799, alors qu’Alessandro Volta inventait la batterie électrique. Mais il faut attendre 1823 avant que l’Anglais Peter Barlow puisse faire tourner une roue au moyen d’un électro-aimant, un principe qu’appliquera pour la première fois l’Allemand Jacobi pour propulser en 1839 un bateau électrique sur la Neva, ce qui permettait de transporter les très lourdes batteries. Les premiers engins terrestres autopropulsés apparaîtront vers 1840. Un Américain, Thomas Davenport, construira avec l’Écossais R. Davidson ce que Griset et Larroque qualifient dans leur livre de «machines improbables dont l’utilité pratique peut sembler virtuelle».

En parallèle, le Belge Étienne Lenoir réalise un premier moteur à deux temps en 1860, mais il faudra attendre 1867 pour voir fonctionner un premier véritable moteur à quatre temps. À peu près au même moment, en 1859, Gaston Planté invente l’accumulateur au plomb, l’ancêtre de nos batteries d’auto d’aujourd’hui. L’invention de la dynamo par Zénobe Gramme en 1869 permettra à la fois aux moteurs électriques de produire de l’électricité en freinant et de l’utiliser pour la propulsion.

L’engouement pour la motorisation électrique va stimuler une pléiade de chercheurs et d’hommes d’affaires. Dès 1886, on voit apparaître en service en Angleterre un premier «taxicab» électrique. Dès lors, la propulsion électrique, propre et silencieuse, apparaît à tous comme la voie de l’avenir. En 1890, cette suprématie de l’électrique se confirme dans la première course automobile organisée à Springfield, aux États-Unis. Edison se dote d’une Studebaker électrique pour tester ses nouvelles batteries nickel-fer à cette époque et Peugeot offre déjà en 1802 un premier quadricycle électrique. Plusieurs petits perfectionnements augmentent à cette époque la force et la fiabilité des tout-électriques. En 1905, la Drojky de Jeantaud peut déjà déplacer deux adultes sur 50 km à une vitesse de 20 km/h. Mais c’est la course à la vitesse qui va imposer la puissance du véhicule électrique. Cette course sera remportée par la Jamais Contente, le premier véhicule terrestre à dépasser le «mur» des 100 kilomètres à l’heure, le 1er mai 1899. La Baker Electric Torpédo Kid battra ce record cinq ans plus tard, en 1904, avec une pointe à 167 km/h, ce qui laisse pantois les constructeurs de moteurs thermiques.

Mais l’invention du carburateur à gicleur (1803) et la mise au point d’un premier allumage à basse tension vont augmenter sensiblement la performance du moteur à combustion. Une course Paris-Bordeaux-Paris en 1895 confirmera sur 600 km la supériorité du moteur thermique en raison de son autonomie.

Dès lors s’amorce une longue période durant laquelle les véhicules électriques vont se spécialiser dans des utilisations urbaines pour surmonter les problèmes d’autonomie et de charge. Des flottes de taxis, qui fonctionnent dans un court rayon autour des postes de recharge, verront ainsi le jour en Europe ainsi que plusieurs véhicules spécialisés, comme des bennes à ordures et des camions de livraison sur de courtes distances. La fiabilité et la simplicité des moteurs électriques ainsi que leur entretien économique les imposeront longtemps comme des solutions urbaines incontournables.

Aux États-Unis, où l’auto électrique domine encore le marché au tournant du XXe siècle, selon Griset et Larroque, des industriels proposent à cette époque un service intégré offrant aux usagers, à fort prix, l’usage d’une voiture pour joindre les tramways ou les trolleys, ces autobus qui s’alimentent eux aussi aux câbles aériens installés au-dessus des rues.

La propulsion électrique vivra son âge d’or avec les tramways et les trolleys, sauf à Paris où le souci de ne pas modifier l’esthétique de la ville incitera les autorités à les bannir de plusieurs quartiers. On construira plutôt, dès 1898, un premier métro, lui aussi motorisé à l’électricité.

En entrevue hier, Pascal Griset admettait que son livre passe «trop vite» sur l’importante motorisation des chemins de fer en Occident dans la deuxième moitié du XXe siècle, alors que l’automobile électrique connaît une éclipse générale qui la confine aux prototypes de recherche.

Peu de gens savent en effet que les puissantes locomotives diesels qui traversent l’Amérique sont des motorisés électriques, comme les locomotives européennes d’ailleurs, car aucun moteur thermique ne pourrait tirer un train de wagons. En Europe, les locomotives électriques sont alimentées par les fils disposés au-dessus des voies. En Amérique, c’est plutôt un alternateur actionné par un puissant moteur diesel qui alimente les moteurs électriques de la locomotive.

«La propulsion embarquée est plus économique sur de longues distances et quand les lignes ne sont pas achalandées, comme ici en Europe», explique Pascal Griset. Mais, étonnamment, cette vieille stratégie de propulsion hybride, inventée par Ferdinand Porsche pour une voiture en 1899, est la formule vers laquelle évolue doucement l’industrie automobile, avec les «plug-in» ou véhicules hybrides rechargeables (VHR) de la prochaine génération, une filière oubliée qui aurait pu épargner à la planète des milliards de tonnes de gaz à effet de serre.

Pascal Griset explique l’éclipse de la propulsion hybride de la traction tout électrique par le coût d’achat d’un véhicule utilisant deux systèmes à un moment où personne ne recherchait l’économie de pétrole. Et le retour des hybrides est aussi le résultat de la révolution informatique, qui rend possible une gestion très complexe de l’énergie dans un véhicule comme la Prius.

Le retour à une motorisation électrique, dit-il, n’est plus qu’une question d’années, car la rareté et le prix du pétrole vont inévitablement imposer ce changement. Depuis l’après-guerre, des dizaines de prototypes de voitures électriques ont vu le jour en Amérique et en Europe: mais leur diffusion a toujours été freinée par les handicaps du début du XXe siècle : manque d’autonomie, puissance et temps de recharge, poids excessif.

Le retour de la voiture électrique va dépendre, selon Pascal Griset, du mode d’alimentation de ses moteurs. Ou les handicaps de la batterie seront surmontés par une nouvelle génération à recharge rapide ou bien les moteurs seront alimentés au moyen d’une pile à combustible ou d’une génératrice qui prendra la relève, sur les longues distances, des batteries, qu’on rechargera la nuit, quand les réseaux électriques accusent un surplus inutilisé de puissance.

Or c’est précisément cette génération de voitures hybrides qui se pointe et qui devrait réduire les achats de pétrole de 80 à 90 % en moyenne, ce qui pourrait prolonger énormément l’utilisation des réserves mondiales.

Auteur : Louis-Gilles Francoeur

Source : www.ledevoir.com


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