Du nouveau… dans l’innovation


INNOVATION AND INEQUALITY. HOW DOES TECHNICAL PROGRESS AFFECT WORKERS ?  par Sandford Borins (dir.)  Washington, Brookings Institution Press, 2008, 231 pages.

L’innovation a quelque chose à voir avec l’intuition, l’invention, l’imitation, l’organisation. Des écrits savants la distinguent de tout un ensemble de notions proches, comme le progrès technique. Contentons-nous de considérer que le téléphone est une invention. Il devient innovation lorsque son utilisation se diffuse. Le grand homme de l’innovation, Joseph Aloïs Schumpeter, estimait que le moteur du progrès résidait dans l’innovation. Devenir l’économie la plus innovante est un des grands desseins européens. On peut cependant dire, avec un vocabulaire schumpetérien, que l’Union, car elle protège trop, empêche la destruction et, partant, la création. On n’innove pas par décrets. Il est toutefois possible d’aménager un environnement propice aux innovations, même dans le secteur public.

Spécialiste du marché du travail, Gilles Saint-Paul, professeur à l’École d’économie de Toulouse, s’intéresse aux relations qu’entretiennent innovations technologiques et distribution des revenus. Mobilisant l’artillerie lourde des mathématiques, dans un ouvrage élaboré à partir de cours pour doctorants, il reprend la question des effets du progrès technique sur le travail. Et ces effets sont considérables. Mais il faut les décrypter pour bien en saisir la nature et la portée.

Saint-Paul, en s’appuyant sur les modèles que propose la science économique, analyse les différents mécanismes qui peuvent conduire le progrès à affecter les inégalités. Les liaisons sont complexes. Elles dépendent de la nature de l’innovation. Mais aussi des qualifications et des compétences des travailleurs.

Schématiquement, le progrès technique rend les travailleurs plus productifs. Ils peuvent voir de la sorte augmenter leurs revenus. D’un autre côté, le progrès technique peut faire baisser le coût du travail et donc les revenus. Sur le long terme, Saint-Paul fait la démonstration que les revenus sont plus élevés que ce qu’ils seraient s’il n’y avait pas eu de progrès technique. Si, dans un premier temps, le progrès technique peut induire une croissance des inégalités, dans la durée, les coûts d’acquisition et d’apprentissage de la nouvelle technologie baissent. Les innovations affectent donc considérablement les inégalités, parfois de manière visible et défavorable sur le court terme. Dans le temps long, elles ont assuré des hausses spectaculaires de tous les niveaux de vie.

Gilles Saint-Paul examine l’économie des « superstars » (banquiers, sportifs, stars des médias) aux revenus « supranormaux », auxquels les technologies de l’information et de la communication, les TIC, profitent particulièrement. Une question est de savoir si le temps résorbera ces nouveaux écarts. A lire Saint-Paul, on note que les riches ont toujours valorisé davantage que les pauvres l’introduction de nouveaux services et de nouveaux biens. Ces nouveautés, progressivement, devenaient accessibles aux moins aisés. Les TIC connaissent ce cercle vertueux de l’innovation. Pour autant, Saint-Paul considère que celles-ci permettent aux « superstars » économiques des prouesses toujours plus élevées. Ce n’est pas, dans l’absolu, une mauvaise nouvelle. Au moins pour elles.

Une équipe de chercheurs, réunie par l’université de Maastricht, fait le point sur les politiques d’innovation en Europe. L’Union européenne en prend, poliment, pour son grade. Avant la charge, légère, les auteurs s’attellent à synthétiser les avancées théoriques et empiriques relatives aux liens entre innovation, développement économique, productivité et capital social (même si la notion, comme toujours, n’est jamais bien définie).

Ils notent que les experts et les élus sont toujours en quête d’outils de mesure. Méfiant à l’égard des indicateurs composites (agrégeant nombre de brevets, nombre de scientifiques, montant des dépenses affectées, etc.), ils plaident pour des tableaux de bord simples. Quatre variables se dégagent : 1) la dépense publique ; 2) la structure du marché de l’emploi ; 3) la dépense privée ; 4) l’organisation locale des services publics. De la typologie des territoires qu’ils en déduisent, il ressort que les régions les plus dynamiques, les plus innovantes et les plus compétitives, sont celles qui présentent le plus grand équilibre entre ces quatre dimensions. La leçon la plus importante est que les régions sont si différentes, ne serait-ce que sur ces quatre volets, qu’il semble illusoire de vouloir mener une politique d’innovation à l’échelle européenne.

C’était pourtant un des principaux axes de l’agenda dit « de Lisbonne », consistant, comme on le sait, à faire de l’Union l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde à l’horizon de 2010. Les textes réunis ici repèrent une tendance à la bureaucratisation des politiques de soutien à l’innovation, à partir d’agences trop spécialisées. Surtout, ces programmes de soutien sont par trop « eurocentrés ».

La contribution la plus notable, signée de Luc Soete, porte sur le « cocooning » européen et sur l’inadaptation de la dépense. L’objectif de la stratégie de Lisbonne visant 3 points de PIB de dépenses en recherche et développement, n’a plus de sens. Dans un monde ouvert, le succès passe par l’exploitation des innovations et non par leur financement. Ce n’est pas la concentration géographique des moyens qui assure la compétitivité internationale. C’est l’organisation locale de la captation et de la mise en œuvre des innovations. Il est moins fondamental de financer le changement technologique, que de savoir le repérer et le mettre en œuvre. La « forteresse Europe », comme l’écrit Soete, doit se projeter dans l’après-Lisbonne et commencer par faire cesser la fuite de ses cerveaux.

A la recherche d’excellence pour les politiques publiques. Telle est l’ambition conférée à un programme établi en 1985 à la Kennedy School of Government de Harvard grâce à une dotation de la Fondation Ford. L’ouvrage dirigé par Sandford Borins, professeur de management public à Toronto, rend compte d’une vingtaine d’années d’innovations montées dans des contextes aussi différents que des collectivités locales et des États américains, des régions et des gouvernements au Brésil, au Chili, en Chine, en Afrique, au Mexique, ou aux Philippines.

L’ouvrage, que l’on trouvera un peu trop pro domo, est une célébration de l’innovation dans le secteur public. Les auteurs rappellent que le principe est né sous la présidence Reagan. L’objectif, défensif, était alors non pas d’implanter des nouveautés, mais de faire la démonstration plus générale de l’efficacité des services publics. Ceux-ci, partout, se sont largement transformés. A l’appel du « New Public Management » ou (en français) de la « réforme administrative », il a fallu réinventer, adapter, centrer sur l’usager, rebaptisé « consommateur » ou « client ».

Les innovations relèvent principalement des services sociaux, de la gestion de l’énergie, du logement et de la police. C’est autour de la police de proximité (qui mixe public et privé) que sont venues le plus grand nombre d’idées et de demandes de soutien. La police, ainsi impliquée dans un quartier, est efficace. Mais un modèle implanté dans une ville ne saurait l’être dans une autre. L’innovation de politique publique locale est d’abord adaptation.

Les observateurs des actions publiques innovantes qui ont été réunis par la Kennedy School tirent trois enseignements : les innovations n’ont d’intérêt que si elles créent de la valeur pour le public ; il existe des « entrepreneurs publics », dynamiques et efficaces, qu’il faut soutenir ; l’innovation consolide la démocratie..

En France, l’innovation dans le secteur public a maintenant une incarnation constitutionnelle. Cela s’appelle l’expérimentation. Et sur des sujets importants, comme le revenu de solidarité active (RSA), l’expérimentation fait montre de toute son utilité pour préparer, adapter et, le cas échéant, corriger l’innovation.

Auteur : JULIEN DAMON professeur associé à Sciences po (cycle d’urbanisme)

Source : www.lesechos.fr


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