Canada / La traversée d’un patenteux

En 1535, Jacques Cartier naviguait sur le fleuve Saint-Laurent au gouvernail de son navire, la Grande Hermine. Hier après-midi, c’est l’artiste multidisciplinaire Alain Fleurent qui tentait une expédition entre Cap-de-la-Madeleine et Champlain à bord de sa Régate Verte, une embarcation faite de «tripes» de pneus. Son arrivée dans l’un des plus beaux villages du Québec lançait les festivités de Phares sur Champlain.

Le bateau se compose principalement de trois chambres à air de pneus de tracteurs. Couché sur le dos, le conducteur s’installe sur une colonne de bois attachée aux pneumatiques. Il se sert de ses bras et de petites rames pour avancer, tandis que ses pieds dirigent un aviron de fortune. Le tout offre un spectacle étonnant; durant le montage des pièces, au quai du sanctuaire, de nombreux badauds venaient poser leurs questions, pariant sur la faisabilité du voyage.

«On construisait des petits bateaux comme ça à chaque jour, mes cousins et moi, lorsqu’on était petits. Mais un modèle comme celui-là est unique, un vrai prototype», explique l’enthousiaste artiste. Alain Fleurent compte sur cette première expérience pour tester les possibilités d’un tel véhicule, lui qui rêve d’organiser des courses de bateaux de ce type dans le delta de la rivière Saint-Maurice, près de l’île Saint-Quentin : «Il n’y a pas assez de profondeur pour y aller avec des modèles conventionnels, mais on pourrait faire des compétitions de bateaux propulsés avec les mains, les pieds, etc. C’est tellement un bel endroit».

L’artiste Alain Fleurent lance son navire la Régate Verte pour un périple de Cap-de-la-Madeleine à Champlain.

L’astucieux inventeur souhaite aussi mettre en valeur la culture de «patenteux» des Québécois. «Quand on regarde en arrière, on a toujours été un peuple de débrouillards. Même avant, dans le temps des Indiens, ils n’allaient pas au centre d’achats pour survivre, ils se construisaient des canots en écorce», illustre l’homme mi-artiste, mi-ingénieur. Avant de s’engager sur le chemin des arts plastiques, Alain Fleurent a d’ailleurs suivi son cours de sciences pures.

L’artiste déplore que beaucoup de festivals n’intègrent pas assez la population. «Les gens arrivent, achètent leurs billets, assistent au spectacle ou à la démonstration et repartent. Je veux que les gens fassent plus qu’assister à ce qui se passe devant eux, qu’ils participent directement. On est un peuple créatif, ça doit rester vivant», soutient l’apprenti capitaine.

Guillaume Massicotte, un des membres du comité culturel de Phares sur Champlain, s’enthousiasme pour le projet maritime de l’artiste. «À chaque fois qu’on appelle Alain, on a toujours un flash ! Ce gars-là est capable de se revirer sur un dix cennes et de nous amener vers d’autres mondes, c’est génial.» Lors de la première édition du festival, le créateur avait d’ailleurs construit un parcours avec des objets inflammables et des extraterrestres.

Alain Fleurent s’investit dans la création depuis de nombreuses années. Ses principaux thèmes demeurent le changement et les dérives. «La vie, c’est du sable. Tu l’arrêteras jamais. Essaye de tenir une poignée de sable fin dans ta main, plus tu vas serrer fort, plus tu vas essayer de la contrôler, plus elle va te filer entre les doigts», explique le philosophe.

Lorsqu’on lui demande pourquoi il fait tout ça, Alain Fleurent répond avec son grand sourire: «Pourquoi je ne le ferais pas ? Tant qu’à rester collé devant l’écran, aussi bien se patenter des affaires».

Tandis que l’aventurier voguait près des berges du fleuve Saint-Laurent, les festivités étaient déjà commencées à Champlain. Au presbytère du village, une vingtaine d’artistes exposaient leurs œuvres dans l’impressionnante bâtisse, les regards de la foule convergeant vers les subtiles aquarelles d’Eban, peintre français venu du Vieux continent pour l’occasion et attrait majeur du symposium.

Auteur : Dominique Goudreault

Source : www.cyberpresse.ca