Recherche publique et bien public : ajuster le cercle


Les ressources publiques ne sont pas investies dans la recherche pour privilégier les entreprises individuelles mais bien pour générer des bénéfices tangibles pour le grand public. La recherche publique cible souvent des domaines dans lesquels les besoins publics sont les plus importants, tels que la santé ou l’agriculture. On attend de la recherche publique qu’elle serve le public. Mais comment faire en sorte que le portefeuille public de nouvelles connaissances technologiques rencontre ces attentes et donne naissance à des biens ?

Si l’innovation veut véritablement être dans l’intérêt public, elle ne peut pas rester un concept abstrait, mais doit atteindre le public sous la forme d’un produit fini fonctionnel et économique.

Les partisans du système de propriété intellectuelle (PI) soulignent toujours que ce dernier fournit aux acteurs privés une motivation rationnelle pour investir dans la recherche et le développement présentant un intérêt pour la société toute entière. Mais lorsqu’elle vient à faire profiter des bénéfices de l’innovation, la motivation privée est souvent vue comme étant en conflit avec le besoin du public d’avoir un accès optimal aux nouvelles technologies. La logique des droits de PI est d’exclure : créer un droit privé de refuser ou de limiter l’utilisation par des tiers de ce qui est protégé. Ceci semble créer un paradoxe: un instrument politique qui est destiné à promouvoir le bien-être public grâce aux nouvelles technologies opère en excluant l’accès à ces technologies.

Ajuster ce cercle a été un défi juridique et politique constant dès les premiers jours de la création du système des brevets: comment stimuler les acteurs privés à innover de manière salutaire, tout en assurant que le public en retire des bénéfices tangibles ? Les domaines privé et public ont évolué avec le temps, à la recherche d’un équilibre. Ainsi, la loi anglaise sur les monopoles (English Statute of Monopolies) était destinée à éliminer les monopoles nocifs basés sur de fausses informations et de fausses prétentions de bien public, mais prévoyait consciemment une exception pour les brevets d’invention légitimes. Ceci reflète le jugement selon lequel de tels droits exclusifs servent aussi bien les intérêts publics que les intérêts privés, et qu’un libre accès pour tous pourrait altérer le bien public. On se retrouve donc une nouvelle fois face au paradoxe : exclusion limitée en tant que bien public.

On pourrait soutenir cette logique lorsque la société compte sur l’innovation privée pour servir l’intérêt public, si l’on n’adopte pas un point de vue statique sur l’innovation et que l’on considère que le public attend que des investissements privés développent de nouvelles technologies sous la forme de produits finis. Même ainsi, ceci signifie limiter le domaine public en termes d’application commerciale de la technologie. Le discours technologique public est rehaussé uniquement par le procédé sur les brevets, qui est conçu de manière à transférer les connaissances privées contenant des informations technologiques utiles vers le domaine public. Ainsi, une nouvelle technologie est en principe d’abord publiée et portée à la connaissance de tous ; ensuite l’intérêt privé sur l’invention est défini au travers de la limitation des droits exclusifs sur l’utilisation commerciale de ce qui fait l’objet d’une véritable invention.

Mais cette logique s’applique-t-elle lorsque le public paye pour la recherche ? Les fruits d’une telle recherche ne devraient-ils pas tomber dans le domaine public, et non être possédés en exclusivité ? Traditionnellement, la recherche publique a été gérée en suivant cette approche, ce qui a effectivement mis en conflit le domaine public et le bien public. Cependant, le fait que l’on réalise de plus en plus que ce choix peut – en pratique – aller finalement contre l’intérêt public nous oblige à examiner attentivement la nature de l’innovation dans une économie de marché. Il va de soi qu’une grande partie de la recherche réside véritablement dans le domaine public : le génome humain en est un exemple illustratif. La recherche privée choisit aussi de défendre ses intérêts en faisant tomber de manière préventive certains résultats dans le domaine public.

En pratique cependant, appliquer des connaissances résultant de la recherche publique et les transformer en de nouvelles technologies pratiquement disponibles requiert une utilisation judicieuse d’un plus grand nombre d’outils que la dépendance vis-à-vis du domaine public. Éviter d’accorder des droits exclusifs peut parfaitement signifier que la recherche publique est disponible facilement, bien que cela décourage ceux qui doivent prendre des risques et investir des ressources dans son utilisation pratique et sa transformation en des produits utilisables. Cela peut signifier que des intérêts étrangers privés bénéficient de l’innovation publique, en jouissant librement de la recherche, en développant et appliquant celle-ci, et en créant de nouveaux produits qui sont vendus une fois de retour dans le pays étranger d’origine. La gestion des connaissances uniquement au travers du domaine public peut signifier que les autres décident de la manière dont il faut s’occuper des résultats de la recherche, le cas échéant, et qui va en bénéficier.

A un certain niveau, les connaissances constituent le bien public définitif  – comme l’eau potable et l’air pur. Encore qu’étant donné les dilemmes pratiques relatifs à la gestion effective de la recherche publique, la gouvernance des connaissances et la politique d’innovation publique  – gestion systémique des droits de PI pour le bien-être public – sont en elles-mêmes un bien d’ordre public plus important. Judicieusement, une utilisation avisée et objective des droits exclusifs de PI est un élément du mélange des décisions politiques destinées à transformer les connaissances résultant de la recherche en un bénéfice public tangible. Ceci entraîne le besoin de reconnaître où le domaine public et l’intérêt public divergent, et de gérer les droits exclusifs de manière à concentrer les ressources sur l’innovation bénéfique et sur l’application pratique optimale de cette dernière.

Auteur : Antony Taubmann, Directeur par intérim, Questions mondiales de propriété intellectuelle, Division des savoirs traditionnels, L’OMPI.

Source : www.ipr-helpdesk.org


En savoir plus sur Invention - Europe

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

C'est à vous !

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close