Recherche et innovation : il est urgent de réveiller l’Europe


Dans un contexte d’énergie durablement chère, l’Europe ne pourra continuer à assurer à ses citoyens des conditions de vie attractives que si ses entreprises séduisent les consommateurs grâce à des produits et services innovants. Or les pays du Vieux Continent sont en train de prendre du retard. Le Japon, par exemple, consacre deux fois plus de ses ressources à la recherche et au développement que l’Europe. Les États-Unis, 60 % de plus. Plusieurs pays émergents accroissent également leurs capacités scientifiques et technologiques à un rythme rapide. En 2000, réunis à Lisbonne, les dirigeants de l’Union avaient déjà pris conscience de l’enjeu et fixé un objectif volontariste. Or, malgré les déclarations d’intention, l’intensité des investissements européens de R&D a stagné en pourcentage du PIB et les conséquences s’en font déjà sentir. Sur la période 2001-2006, la productivité des salariés européens a augmenté de 1,3 % par an, tandis que celle des travailleurs américains a crû de 2,2 %. Le maintien d’un tel écart aboutirait en vingt ans à une croissance du niveau de vie américain de 20 % supérieure à la nôtre. Il signifierait un recul de l’Europe dans l’économie mondiale, d’autant plus marqué que les pays émergents vont continuer à progresser.

Un sursaut est devenu urgent. Il ne s’agit plus de fixer des objectifs généraux, mais de décliner une stratégie permettant d’aboutir à des résultats concrets. Un investissement massif de l’Union européenne dans la recherche publique est d’abord indispensable. Rien ne sert de demander aux pouvoirs publics nationaux et aux entreprises d’investir, si l’Union ne montre pas l’exemple. Elle doit opérer un transfert de ses budgets en faveur de la recherche, de l’innovation et de l’enseignement supérieur, afin que ceux-ci constituent 30 % de ses dépenses annuelles à horizon 2020.

L’espace européen de la recherche devrait en particulier servir de cadre à des programmes de recherche de grande ampleur pour répondre aux défis globaux (environnement, énergie, sécurité alimentaire…), financés non seulement sur des budgets recherche spécifiques, insuffisants, mais aussi sur les budgets thématiques correspondants. Ainsi, on peut imaginer qu’un programme sur la sécurité alimentaire pourrait bénéficier d’une contribution provenant de la politique agricole commune. Pour que ces fonds publics soient utilisés de manière optimale, il faut impérativement que leurs modalités d’attribution soient aussi revues. L’excellence académique, la pertinence des projets de recherche doivent devenir les seuls critères de choix. L’aménagement du territoire européen est un objectif essentiel pour l’Union, mais l’actuel saupoudrage géographique des soutiens à la recherche est contre-productif si l’on veut faire naître et prospérer des équipes de haut niveau capables de porter les couleurs de l’Union dans la compétition scientifique internationale.

Le soutien à l’innovation passe aussi par une aide aux entreprises nouvelles, car ce sont elles, pour l’essentiel, qui portent les innovations et la création de nouvelles activités. Aux États-Unis, une étude montre que la moitié de l’effort de R&D est effectuée par des entreprises qui n’existaient pas voici vingt-cinq ans. Les grandes entreprises européennes en place, même si elles s’adaptent aux nouveaux marchés, n’ont pas la même réactivité. Elles se sont peu positionnées sur les marchés des nouvelles technologies de l’information et sont insuffisamment engagées sur les secteurs émergents des biotechnologies et des nanotechnologies. Le lancement d’un « New Business Act » serait un geste fort pour soutenir les jeunes entreprises. Il permettrait de leur garantir une certaine partie des crédits publics et un certain pourcentage des marchés publics de chaque pays. Les entreprises choisies seraient celles qui sauraient, mieux que les autres, démontrer la pertinence d’une innovation et leur capacité à produire en proposant une gestion du risque associé.

La création d’un brevet communautaire à coût raisonnable serait aussi utile à ces jeunes pousses. Aux États-Unis et au Japon, les petites entreprises ont droit à 50 % de réduction pour protéger leurs inventions. De tels rabais pour les brevets pourraient être introduits sur le Vieux Continent pour les entreprises récentes. L’établissement d’une plate-forme d’échanges technologiques européennes leur permettrait par ailleurs d’accéder plus facilement à des innovations complémentaires développées par des universités ou d’autres sociétés. Une étude de l’OCDE montre que seules 20 % des entreprises européennes possédant des brevets accordent des licences et que ce nombre pourrait doubler si elles arrivaient plus facilement à trouver des partenaires susceptibles de tirer parti de leurs inventions ! A la suite de l’agenda de Lisbonne, l’Europe s’est engagée dans des réformes structurelles. Mais ce travail doit se poursuivre et s’intensifier. La présidence française de l’Union européenne peut encore être celle qui mettra durablement l’Europe de la connaissance sur de bons rails. Mais il lui faut faire vite.

Auteurs  : DOMINIQUE GUELLEC est économiste à l’OCDE. MARC IVALDI ET FRANCK PORTIER sont économistes à l’École d’économie de Toulouse (TSE).

Source : www.lesechos.fr


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