Les marques, telles que «Coca-Cola» pour les boissons, «Intel» pour les produits informatiques ou encore «Orange» pour la téléphonie mobile, sont utilisées par les entités commerciales à de nombreuses fins -indiquer l’origine, la qualité- en tant que moyen de publicité. Les consommateurs peuvent «acheter des parts» du style de vie suggéré par une marque de luxe. Cependant, la fonction principale de la marque, celle garantie légalement, est la fonction d’indication de l’origine commerciale. Afin de désigner l’origine des biens et services, une marque doit être propre à distinguer les biens ou services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.
Cette fonction peut être juridiquement protégée dans l’ensemble de l’Union européenne (UE) grâce à l’enregistrement de la marque en tant que marque communautaire auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI). La législation relevante -le règlement sur la marque communautaire- est reflétée dans les droits nationaux des États membres de l’UE, puisque ces droits ont aussi été harmonisés par une législation communautaire parallèle. Les mêmes critères de base sont donc utilisés pour l’enregistrement et la qualification des cas de violation des marques dans tout le territoire communautaire.
La plupart des marques consistent en des signes visuels – mots ou symboles – et sont facilement enregistrées. Bien que de nos jours les registres soient électroniques, ils prennent une forme documentaire. La législation européenne sur les marques prévoit que tout «signe» ayant un caractère distinctif peut être enregistré, pourvu qu’il soit «susceptible de représentation graphique». Un tel signe peut donc être repris dans le registre. En conséquence, l’enregistrement n’est pas limité à des mots ou à des symboles. D’autres marques visuelles, telles que les couleurs, peuvent elles aussi être enregistrées. De plus, des «signes» non-visuels, tels que des indicatifs musicaux, ont aussi été enregistrés. Qu’en est-il des odeurs ?
Peu de marques olfactives ont pu être enregistrées. Dans l’affaire Sieckmann c/ Deutsches Patent- und Markenamt, l’Avocat Général (AG) Ruiz-Jarabo Colomer décrit certaines de celles-ci. L’odeur d’herbe fraîchement coupée a été enregistrée en tant que marque communautaire et dans le Benelux pour des balles de tennis; l’autorité anglaise compétente pour l’enregistrement des marques (United Kingdom Trade Mark Registry) a enregistré l’odeur de roses appliquée à des pneus, et l’odeur de bière appliquée à des ailettes de fléchettes. Cinq demandes d’enregistrement pour des marques olfactives ont été publiées en France.
Dans toutes les demandes ayant abouti à un enregistrement de marque olfactive, les odeurs ont constitué des additions suggestives au produit de base. Mais que se passe-t-il si les produits sont des parfums ou des articles de toilette, puisque dans ce cas les odeurs forment un ingrédient essentiel du produit, susceptible d’avoir un caractère distinctif ? L’AG Ruiz-Jarabo Colomer cite le fait que le Bureau Benelux des Marques a autorisé l’enregistrement d’une marque olfactive pour des produits cosmétiques, mais les commentateurs et de nombreuses autorités compétentes en matière de marques soutiennent que dans de tels cas l’odeur constitue une partie du produit, et ne fonctionne donc pas comme une indication d’origine. Que se passe-t-il dans le cas où le produit de base a une odeur déplaisante, et que le parfum que l’on veut enregistrer rend celle-ci plus supportable ? Dans un autre cas, l’OHMI a rejeté une demande d’enregistrement de l’«odeur de framboises» pour du diesel et du carburant domestique. L’Office a estimé que les consommateurs ne verraient pas l’odeur comme conférant un caractère distinctif au produit du demandeur, mais plutôt comme l’une des nombreuses tentatives de l’industrie pétrolière de rendre l’odeur de ces produits plus plaisante.
L’affaire Sieckmann fait référence à de nombreuses autorités européennes compétentes en matière d’enregistrement de marques qui commencent à avoir des difficultés avec l’enregistrement d’odeurs. L’autorité anglaise d’enregistrement des marques a rejeté une demande d’enregistrement de «l’odeur, l’arôme ou l’essence de cannelle» pour des produits d’ameublement. Dans l’affaire Sieckmann elle-même, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu un arrêt relatif à l’enregistrement de marques olfactives. La Cour a confirmé le principe selon lequel les signes non-visuels pourraient constituer des «marques» et pourraient donc être enregistrés, pour autant qu’ils aient un caractère distinctif. Cependant, l’affaire portait sur la question de savoir comment les odeurs peuvent être représentées graphiquement. En rejetant chacun des principaux modes de représentation possibles – par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments – la CJCE a rendu quasiment impossible l’enregistrement de marques olfactives en Europe dans le futur.
Citant Théophraste au sujet de l’odeur intoxicante et très puissante des roses, Maniatis observe qu’il est peut-être mieux pour tous d’éviter que les odeurs puissent être enregistrées en tant que marque, et, à la place, de laisser l’odeur des roses remplir sa superbe fonction, indépendamment de son nom, même lorsqu’elle peut indiquer l’origine.
Avec Sieckmann, la CJCE a effectivement retiré les odeurs du système des marques.
Auteur : Alison Firth, Conférencier principal, Queen Mary Intellectual Property Research Institute
Source : www.ipr-helpdesk.org
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