1. Des brevets pour l’innovation
Le système de brevets a été conçu en tant que mécanisme d’encouragement pour la création de connaissances nouvelles, économiquement rentables, mais aussi en tant que mécanisme de diffusion des connaissances afin de permettre la distribution des innovations.
Au cours de la dernière décennie, le nombre de demandes de brevet s’est multiplié de manière extraordinaire. En 2004, le nombre de demandes présentées auprès de l’Office européen des brevets (OEB) a augmenté de 10% par rapport à l’année précédente. Dans une étude récente de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), 75% des entreprises ont indiqué qu’elles brevetaient aujourd’hui des inventions qu’elles n’auraient pas breveté dix ans auparavant (OCDE 2003). Cela signifie-t-il que le monde est devenu plus innovateur ? Quelles sont les conséquences sur la recherche scientifique ? La crainte qu’un nombre excessif de brevets n’entrave les progrès scientifiques, notamment dans le domaine des nouvelles technologies telles que la biotechnologie, est-elle devenue réalité ?
2. Brevets de blocage
Suite aux nombreux brevets récemment délivrés, certaines personnes craignent que le système de brevets ne soit devenu une fin en soi et que les brevets n’aillent à l’encontre de l’objectif original, c’est-à-dire la promotion de l’innovation et la distribution des connaissances, constituant ainsi une barrière pour le suivi de la recherche. Cet aspect est particulièrement préoccupant en ce qui concerne des domaines où la société entière a un intérêt à rendre les connaissances technologiques publiquement accessibles pour des raisons pédagogiques ou de santé publique. La biotechnologie, notamment le secteur des inventions génétiques, est l’un des secteurs les plus délicats. Les brevets sur l’ADN ont souvent été critiqués en raison des conséquences néfastes sur la poursuite des recherches (Cho et autres, 2003). Différentes situations peuvent survenir.
Le problème des anticommuns décrit une situation où les résultats nécessaires à la réalisation d’autres recherches sont couverts par un grand nombre de brevets appartenant à diverses entreprises (Heller/Eisenberg, 1998). Les coûts de transaction pour prendre des contacts et coordonner toutes les différentes licences potentielles sont extrêmement élevés, empêchant la conclusion d’accords de licence. Par conséquent, les informations biotechnologiques brevetées ne peuvent être utilisées au niveau socialement souhaitable.
Les buissons de brevets constituent un autre problème. Afin de commercialiser une nouvelle technologie de manière effective, une entreprise doit se frayer un chemin à travers une épaisse toile de droits de propriété intellectuelle entremêlés (Shapiro, 2001). Dans une telle situation, la prolifération de brevets, tels que les brevets sur les gènes, implique la négociation de nombreuses licences, augmentant ainsi les coûts de transaction qui deviennent socialement inefficaces. Bien que les entreprises individuelles aient un intérêt financier à concéder des licences pour leurs brevets, les potentiels bénéficiaires des licences ne peuvent couvrir financièrement les droits de licence collectifs nécessaires. En fin de compte, le concédant et le bénéficiaire de la licence sont tous deux gênés dans la poursuite de leurs efforts de recherche et développement dans le domaine technologique breveté.
Le nombre élevé de brevets publiés de nos jours et la tendance à solliciter des brevets multiples pour couvrir une seule invention entraînent la multiplication de problèmes de hold-up. Il s’agit d’une situation où un produit unique peut potentiellement contrefaire plusieurs droits de brevets différents. Cette multitude de brevets provoque une hausse du coût total des droits de licence.
L’accumulation de redevances a également des conséquences néfastes sur l’investissement ultérieur dans la recherche et le développement. Cette circonstance peut décourager ou détourner la recherche, ralentissant ainsi le développement de produits et des procédés bénéfiques pour la société.
Les scenarii décrits ci-dessus pourraient être encore plus dramatiques si les brevets sont accordés sur la base de motifs non justifiés.
3. Preuve empirique
On sait encore peu de choses sur la gravité réelle des problèmes des anticommuns, de buissons de brevets, d’accumulation de redevances et de hold-up, mais les inquiétudes concernant le brevetage excessif et ses conséquences négatives sont largement répandues. Des recherches empiriques menées aux États-Unis (Cho et autres, 2003) ont confirmé des problèmes d’accès, notamment aux découvertes faites en amont. D’autres (Walsh et autres, 2003) ont établi qu’il n’y a pas eu de défaillance en raison des anticommuns, que l’accumulation de redevances est contrôlée et que les problèmes relatifs aux brevets sont globalement maîtrisables.
Une étude suisse sur ces aspects (Thumm, 2004) n’a constaté aucune défaillance ni d’abus systématique du système de brevets actuel pour les inventions biotechnologiques, ni observé un niveau abusif de brevetage stratégique. Cependant, les découvertes ont confirmé que les brevets sous leur forme actuelle constituent un facteur important pour l’innovation et stimulent les inventions biotechnologiques. Les recherches empiriques démontrent en outre que les concepts des anticommuns, de buissons de brevets et d’accumulation de redevances présentent un intérêt pratique. Toutefois, les conséquences et la dimension économiques n’ont pas grande importance aux yeux de l’industrie biotechnologique. Les personnes interrogées ne percevaient que faiblement ces phénomènes de dépendances excessivement lourdes parmi les brevets, de brevets bloquant des domaines technologiques entiers et les problèmes de chevauchement de brevets (Thumm, 2003).
4. Conclusion
Bien que tous les problèmes évoqués ci-dessus aient peu d’importance pratique, il est important d’en avoir conscience et d’envisager de prendre des mesures de précaution. Une bonne politique de propriété intellectuelle ne signifie pas des droits maximaux de propriété intellectuelle. La qualité doit être un critère à prendre en considération au moment d’accorder des droits de propriété intellectuelle. Un brevet de faible qualité peut occasionner une baisse des investissements et de la commercialisation des innovations. Cela peut ralentir les avancées en matière de technologies cumulatives et augmenter le niveau de fragmentation de droits. Les brevets inutiles, pouvant conduire à une accumulation de redevances et à d’autres problèmes, créent des difficultés pour la société et doivent être évités. L’application correcte et rigoureuse des critères de brevetabilité permet de limiter ce risque et d’augmenter la qualité des brevets.
Le système de brevets tel qu’il est aujourd’hui n’a pas besoin d’être totalement réorganisé mais nécessite plutôt une mise au point continue fondée sur la réglementation en vigueur. Encourager l’utilisation d’outils tels que des communautés de brevets, des accords croisés de licences, des consortia de brevets et des dérogations spécifiques aux fins de recherche peut aider à réduire les coûts de transaction et éviter les buissons de brevets. Les accords croisés de licence peuvent constituer un instrument efficace pour réduire le coût de mise en œuvre des droits sur les brevets. Un centre d’échange de brevets associé à davantage d’accords croisés et une meilleure information concernant le potentiel des communautés de brevets et des consortia de brevets pourraient constituer un guichet unique proposant des licences non exclusives pour des inventions biotechnologiques à des conditions raisonnables.
Auteur : Nikolaus Thumm, Conseiller principal en économie, Docteur
Source : www.ipr-helpdesk.org
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