Brevets : pour une limitation raisonnable


Du côté des professionnels de la propriété intellectuelle, l’actualité est placée sous le signe de la recherche d’équilibres. Ce sujet sera ainsi le thème du prochain congrès de la Fédération internationale des conseils en propriété industrielle (FICPI), qui fête son centenaire fin mai à Paris. Son président, Francis Ahner, en explique les motivations et les enjeux, notamment dans l’industrie pharmaceutique.

Pharmaceutiques : Le centenaire de la FICPI est placé sous le thème de la recherche d’équilibres dans tous les secteurs de la propriété industrielle. Dans cette quête d’équilibres, quelle pourrait être, pour l’industrie pharmaceutique, une juste délimitation de la portée des revendications d’un brevet ?

Francis Ahner, président de la FICPI : L’industrie pharmaceutique est un cas particulier et l’un des premiers problèmes réside dans l’équilibre entre réservation et droits exclusifs d’exploitation s’exerçant sur un territoire et une période limitée, droits qui s’opposent un peu à la notion de perfectionnement par la recherche. L’approche en vigueur est une approche américaine, très protectrice des outils de recherche. Ainsi, on a vu parfois, aux États-Unis, des décisions qui étaient, il ne faut pas se le cacher, trop favorables aux brevetés. Il n’est pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain et de dire que les brevets ont perdu leur intérêt aujourd’hui. Ceux-ci permettent en effet la poursuite de la recherche et l’industrie pharmaceutique est ainsi le domaine par excellence, où il faut continuer à recourir à la protection par des brevets. Sans cette possibilité de retour sur investissement, plus personne n’engagerait de frais importants pour de nouveaux développements. Il ne faut cependant pas tomber dans l’excès, faute de quoi on ferait imploser le système et on prêterait de plus en plus le flanc à la critique. C’est à cette notion d’équilibre protection industrielle/économie que je voudrais que le prochain congrès réfléchisse, avec, pourquoi pas, des aménagements permettant une limitation raisonnable des brevets.

Pharmaceutiques : Comment pourraient s’exprimer de tels aménagements ?

Francis Ahner : La transposition de la directive européenne sur les brevets en biotechnologie (directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998) nous en offre un exemple concret, les législations nationales, en Allemagne et en France, ayant limité la portée des brevets. Ainsi, le premier brevet portant sur une séquence génique pourrait voir sa protection restreinte à la seule application spécifique qu’il décrit. Autrement dit, l’évolution de la recherche ne sera pas bloquée et la séquence en question pourra servir à d’autres applications susceptibles de présenter une valeur d’exploitation supérieure. Cette situation est contraire à l’approche traditionnelle des brevets qui veut qu’une molécule ou une séquence génique protégée par un brevet soit couverte pour toutes ses applications futures. Mais, les économistes critiquent cette approche qu’ils assimilent à un frein au développement. La création de licences obligatoires pourrait aussi ouvrir des possibilités de réglage, mais il faut réfléchir à de nouveaux mécanismes, de nouvelles adaptations pour équilibrer d’un côté une exploitation exclusive d’une invention et, de l’autre, le développement économique futur.

Pharmaceutiques : Le commissaire européen Charlie McCReevy a lancé récemment une consultation sur le système des brevets et le concept de brevet communautaire. Comment interprétez-vous cette initiative ? Qu’en attendez-vous ?

Francis Ahner : L’option choisie par Charlie McCreevy est astucieuse. Dans le questionnaire adressé pour consultation, il ne se limite pas à dire : j’ai besoin d’un brevet communautaire, mais il y adjoint le besoin d’un système communautaire, cohérent, harmonisé et unitaire au niveau de la juridiction chargée de valider les brevets, permettant ainsi d’avoir une jurisprudence homogène au niveau des actes de contrefaçon. Aujourd’hui, une invention considérée comme brevetable par un pays ne sera pas nécessairement reconnue comme tel dans une autre nation. Cette situation n’est pas tolérable. Un système de brevets a besoin d’être clair et prédictif pour permettre aux utilisateurs des brevets d’y voir aussi clair que les titulaires des brevets, faute de quoi toutes les critiques de nos amis économistes vont s’abattre sur le système des brevets pour essayer de le faire imploser. La solution réside-t-elle dans un brevet communautaire ? Je n’en suis pas sûr. Le besoin s’exprimera différemment selon le secteur industriel concerné. L’industrie automobile par exemple n’a pas besoin de se protéger dans tous les pays, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’industrie pharmaceutique qui voudrait une couverture plus homogène. Mais surtout, ce qui s’avère vital pour nous, c’est de disposer d’un système judiciaire centralisé afin d’éviter, en cas de contestation d’un brevet, d’avoir à faire face à des assignations multiples dans chaque pays de l’UE.

Propos recueillis par Anne-Lise Berthier.

Source : www.pharmaceutiques.com


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