Qui veut l’argent des recherches universitaires au Canada ?


Près de 196 millions $ sont donnés à même les fonds publics chaque année à l’Université Laval pour y faire des recherches. Certaines d’entre elles débouchent sur des brevets et sont commercialisées. Cependant, on ne s’entend pas sur qui doit profiter de ces inventions.

Qui peut réclamer une part des profits générés par la mise en marché des recherches ? Naturellement, les professeurs et étudiants réclament leur part puisqu’ils sont à l’origine des découvertes. Les universités quant à elles font valoir que les recherches ont été effectuées avec les ressources qu’elles ont fournies (les locaux et l’équipement de recherche) et, par conséquent, qu’une part des profits doit leur revenir. Fait intéressant, dans le secteur privé, la propriété intellectuelle (PI) des découvertes effectuées par des employés revient entièrement aux industries. Le contribuable dans tout ça ? La société finance, par des organismes subventionnaires, 70 % des recherches effectuées à l’Université Laval. N’est-il pas légitime de revendiquer une part des bénéfices ? Dans un plan d’action sur la gestion de la PI élaboré par le ministère de la Recherche, de la Science et des Technologies (MRST) en collaboration avec les organismes subventionnaires, on reconnaît cette possibilité. Ainsi, les organismes rappellent « qu’à titre de mandataires du gouvernement dans la gestion de fonds publics, les fonds subventionnaires québécois pourraient légitimement réclamer au nom du public une participation aux fruits éventuels de la valorisation des découvertes ». Cependant, ils décident de transférer ce droit aux institutions universitaires, celles-ci pouvant ainsi réclamer une part des bénéfices au nom de la population du Québec, qui finance les recherches.

Tout le débat concerne la possession de la PI des découvertes. Plus précisément, il est question ici des droits d’utilisation des résultats de la recherche. On reconnaît d’emblée ce qu’on appelle les « droits moraux » du chercheur, c’est-à-dire la reconnaissance qu’il est celui qui a fait la percée scientifique. Par contre, la dissension se fait sentir au moment où il est possible de gagner de l’argent avec les recherches. Lorsqu’il est possible de commercialiser une découverte, on demande généralement un brevet, celui-ci octroyant un monopole sur la vente du produit pendant 20 ans. Les chercheurs et les universités réclament une part des profits de ce monopole.

Depuis sept ans, plusieurs tentatives d’adopter un règlement départageant les possesseurs de la PI à l’Université Laval se sont soldées par un échec. En 1999, le conseil d’administration de l’Université a adopté un règlement qui stipulait que lorsqu’il y avait un processus de commercialisation enclenché, les chercheurs, professeurs et étudiants confondus cédaient leur part de propriété intellectuelle. Par contre, il est inscrit dans la convention collective du Syndicat des professeurs de l’Université Laval (SPUL) que tout document concernant la PI à l’Université doit être approuvé par le Syndicat, sans quoi il n’est pas valide. Sans surprise, le SPUL a utilisé son droit pour bloquer le règlement.

D’INFRUCTUEUSES DISCUSSIONS

En 2002, le plan d’action du MRST énonce une politique claire : s’il y a une invention à commercialiser, l’université et les chercheurs retirent chacun 50 % des bénéfices, son approche étant de reconnaître « la contribution des chercheurs comme source de la propriété intellectuelle », mais en même temps de s’assurer que la population du Québec, par les universités, ait un retour sur son investissement. La même année, une négociation tripartite étudiants-professeurs-administration tente d’élaborer un règlement. Frédéric Dallaire, à l’époque étudiant délégué à la table de négociation, affirme que la commercialisation des recherches n’est pas que bénéfique aux étudiants. « Bien que cela ouvre des postes aux étudiants, ils profitent rarement des bénéfices [de la commercialisation], en plus qu’on limite les publications de leurs mémoires de maîtrise et thèses de doctorat », avertit-il. En effet, au moment de la mise en marché des recherches, les universités font régulièrement signer aux étudiants des ententes de confidentialité les empêchant de publier les résultats de leurs recherches. Or, la présentation des recherches compte pour beaucoup dans le milieu universitaire, notamment pour l’embauche. M. Dallaire et ses collègues ont cependant fait des propositions surprenantes à la table de négociation. En effet, ils ont suggéré que toutes les découvertes soient rendues publiques. Par le fait même, il n’y aurait pas de possibilité de dépôt de brevet, mais tous les individus intéressés par une commercialisation du produit pourraient le faire. Selon Frédéric Dallaire, ce type de proposition n’a pas été retenu. « Nous avions l’impression d’être uniquement un ennui pour la négociation, se rappelle-t-il. Pour le SPUL et l’administration, les étudiants n’avaient pas d’affaire là. »

L’impression devient un fait lorsque l’année suivante les négociations reprennent, cette fois-ci sans les étudiants. Le SPUL a demandé à l’administration que ceux-ci ne fassent plus partie des discussions. Après un an de labeur, un document a été finalement pondu. Dans celui-ci, la PI est possédée conjointement par l’Université et les chercheurs si ces derniers décident de commercialiser les fruits de leurs découvertes. Nadia Ghazzali, vice-rectrice adjointe à la recherche, précise que « cette entente respecte les directives formulées par les organismes subventionnaires ». On aurait pu croire qu’on était à la fin de la démarche. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

En décembre 2004, une pétition provenant d’une centaine de professeurs est déposée au SPUL. Les signataires contestent la proposition de règlement. Pierre Savard, professeur titulaire et initiateur de ce mouvement, explique cette réaction : « Le point principal qui était contesté par les chercheurs était l’obligation de céder à l’Université sa PI s’ils désiraient protéger une invention provenant des fruits de leurs recherches. » M. Savard fait valoir que « cette façon de faire est propice aux abus de pouvoir et est démotivante pour les inventeurs. Elle place l’Université en position de non-concurrence, ce qui constitue un ingrédient favorisant la nonchalance. Il faudrait que l’inventeur puisse choisir son partenaire d’affaires en fonction des services qu’il obtiendra en retour de la cession de sa PI. Le libre marché est la seule façon de s’assurer que les administrations universitaires offrent des services compétitifs aux inventeurs ». D’après John G. Kingma, président actuel du SPUL, cette réaction « a stimulé la réflexion du conseil syndical », ce qui l’a amené à rejeter l’entente que le syndicat a lui-même négociée.

ET MAINTENANT ?

Pour Pierre Savard, l’avenir passe par une saine discussion entre les parties. Il affirme à cet effet « qu’il serait possible de moderniser le règlement en vigueur et cela sans bafouer les droits individuels des chercheurs. Au lieu de procéder à cette modernisation, l’administration universitaire tente le grand coup. Elle fait tout ce qu’elle peut, y compris la désinformation, pour semer la confusion et diviser ses membres dans le but d’obtenir du SPUL une cession obligatoire de PI sur les inventions de tous les professeurs ». De son côté, Mme Ghazzali affirme que « ce n’est pas par mauvaise foi de la part de l’Université qu’il n’y a pas d’adoption d’un règlement ». Dans cette impasse, l’Université se base sur des documents de 1974 et 1980 pour gérer la propriété intellectuelle. Mme Ghazzali précise que, « dans ces documents, il n’y a pas de principe de propriété conjointe ni de clause explicite qui protègent la propriété intellectuelle des étudiants ». Deux éléments que les organismes publics ont exigé qu’ils soient désormais présents dans la gestion de la PI. Finalement, il n’y a pas d’autres négociations qui sont prévues dans un futur rapproché. La question de savoir à qui en fin de compte revient le fruit des recherches financées par la population du Québec et du Canada n’est pas encore résolue et elle ne le sera pas demain.

Auteur : Antoine Goutier

Source : www.voir.ca


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