L’article intitulé « Face à la crise, vive la culture… » (Le Monde du 15 novembre) est un mélange très contemporain d’approximations et de démagogie. Les signataires utilisent indifféremment les mots « art » et « culture ». Si l’art est une composante de la culture, la culture n’est pas l’art.
L’art est une activité humaine bien spécifique, se caractérisant par la recherche d’une émotion esthétique, d’une vérité subjective, d’un regard sur le monde. La culture est bien autre chose. C’est un ensemble vaste et hétérogène : langue, écriture, rites, cuisine, coutumes, habitat, art ou artisanat constituent la culture d’un peuple ou d’un groupe de personnes. Et si le bortsch fait partie de la culture yiddish, que je connais bien, je ne suis pas certain que cette soupe de betterave constitue une transformation du fugace en permanence du génie, une performance orchestrée. L’art ne peut être confondu avec la culture.
La démarche intellectuelle qui consiste à opposer les constructions financières à la culture et à l’art est assez simpliste. De quel côté ranger Paul Gauguin, impressionniste de génie, mais aussi agent de change ? La monnaie est un élément indéniable de la culture. Le sel comme monnaie d’échange fut caractéristique de la culture tibétaine pendant des siècles. Tous les vendredis se tient à Birqash, en Égypte, le marché aux dromadaires. Il réunit chameliers, paysans, négociateurs, Cairotes, Soudanais… On parle valorisation, chute des cours… Tout comme Wall Street, le marché aux dromadaires sert de lien entre des hommes, de passerelle entre des voisins. Dans le dialecte de la Rue de Valois, disons qu’une place de marché est un spectacle vivant.
Toute activité humaine comporte des excès. En termes d’improvisations tragiques et de poésie mortifère, dont les signataires accusent les jeux d’écritures financiers, certains artistes ne sont pas en reste. Ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain. Se servir de la dépression économique pour argumenter que l’homme est minable quand il spécule et grandiose quand il danse la Tecktonik ne mène nulle part. D’autant plus que la crise des subprimes est née d’une utopie démocrate plutôt belle : donner aux plus modestes accès à la propriété.
Ce n’est pas la culture que l’on devrait mettre sur un piédestal, mais l’épanouissement humain, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Les signataires citent en exemple de richesse culturelle tangible la Grande Muraille de Chine. Pour illustrer l’amour du monde et de la diversité, ils auraient pu trouver mieux qu’un mur de séparation érigé pour protéger des envahisseurs étrangers. Qui dit culture ne dit pas forcément ouverture et compassion. Universel, frère, disciple… : la terminologie employée par les signataires est, elle aussi, compassionnelle. N’attendons pas trop de la culture : elle n’est ni plus ni moins que le reflet de la société humaine, avec des bons et des mauvais.
Si l’on peut attendre d’une administration qu’elle préserve le patrimoine, jamais les subventions ne produiront du génie. Et jamais le génie ne sera étouffé par manque de subventions. Modigliani vivait dans la misère, et ses tableaux valent des millions de dollars. Mais quand la spéculation s’applique aux œuvres d’art, bizarrement, elle ne choque plus personne.
En tant que contribuable, l’impôt me semble justifié pour financer la force publique et les dépenses d’administration, comme le stipule l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Mais aussi la Sécurité sociale, la solidarité avec les pauvres, l’éducation…
En revanche, l’artiste doit conserver sa liberté d’esprit, donc sa totale indépendance financière. Il y a des marchands d’art pour les peintres, des imprésarios pour les acteurs, des maisons de disques pour les musiciens, des producteurs pour les cinéastes, des promoteurs pour les architectes…
A chaque talent correspond un agent à vocation économique : à eux de trouver financements, diffuseurs et retours sur investissement. C’est le public qu’il faut séduire, pas le service public. Et en temps de crise, loger un sans-domicile-fixe me semble plus juste que de subventionner une exposition de tôles rouillées.
Auteur : Thierry Bartin est publicitaire.
Source : www.lemonde.fr
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