Si le principe fondamental du laser a été découvert par Einstein en 1917, il a fallu près de 50 ans pour que le premier laser voie le jour. Pourtant, la plupart des éléments nécessaires existaient depuis longtemps. Aujourd’hui, le laser est omniprésent : outil des physiciens, des chimistes ou des médecins, on l’utilise aussi pour lire des code-barres ou des DVD. Les astrophysiciens ont découvert récemment l’existence de lasers naturels !
Préhistoire et histoire du laser
Corps noir
Nous voyons la plupart des objets qui nous entourent grâce à la lumière qui les éclaire et qu’ils renvoient. Pourtant, sans un tel éclairage, un morceau de charbon est visible à condition toutefois qu’il soit suffisamment chaud. Le rayonnement émis par le charbon (dans cet exemple) du fait de sa température est appelé « rayonnement de corps noir ». Même à 20 °C, le charbon émet un tel rayonnement mais le spectre des fréquences émises est tel que nos yeux ne le « détectent » pas. Établir la relation mathématique qui donne le spectre d’émission (les fréquences et les amplitudes) en fonction de la température a été un problème ardu auquel les physiciens se sont intéressés à la fin du XIXe siècle. En 1900, sans la démontrer, Max Planck (1858-1947, prix Nobel de physique 1918) parvient à mettre sur pied la « loi du rayonnement du corps noir », une relation qui rend parfaitement compte des observations expérimentales, en introduisant en physique le « quantum élémentaire d’action h ».
Effet laser
Le temps de séjour d’un atome hissé de son état fondamental E0 vers un état excité E1 est très court, puisqu’il a spontanément tendance à retourner à son état fondamental en rayonnant de l’énergie sous forme d’une radiation quantique de fréquence ν telle que hν = E1-E0. Imaginons à présent non pas un mais des milliards de milliards d’atomes enfermés dans une enceinte à une certaine température, comme l’air enfermé dans un four. Le rayonnement de corps noir au sein de l’enceinte, dont le spectre est continu, interagit avec les atomes. Ces derniers absorbent certaines radiations puis se désexcitent spontanément. Aussi, l’énergie du rayonnement dans l’enceinte subit de microscopiques fluctuations. Albert Einstein (1879-1955, prix Nobel 1921) s’intéresse à ces fluctuations qu’il étudie de manière théorique. En 1917, il arrive à la conclusion que si la loi de Planck est correcte « et elle a l’air de l’être » l’interaction rayonnement-matière doit mettre en jeu une autre forme d’émission, autre que l’émission spontanée, car cette dernière seule ne peut rendre compte de la loi de Planck. Einstein montre que l’émission d’un photon hν lorsqu’un atome se désexcite peut être induite, stimulée, par un photon de même énergie. Dans ce processus que personne n’avait encore imaginé, appelé « émission induite » ou « émission stimulée », le photon émis possède les mêmes caractéristiques que le photon « stimulant » : même énergie, même direction d’émission, même phase. Et par ailleurs leurs énergies s’ajoutent ! La lumière arrive donc sur un atome excité et le quitte avec une énergie double : il y a Amplification de Lumière par Émission Stimulée de Radiation ; c’est l’effet LASER (en anglais). L’acronyme n’a été forgé que près de quarante ans après la publication d’Einstein.
Nécessité d’une inversion de population
Au cours des années 1920 et 1930, certains physiciens étudient activement l’émission stimulée, mais à cette époque personne n’a conscience qu’il serait peut-être possible de mettre au point un véritable « amplificateur de lumière ». Pourquoi ? Car à cette époque, on s’intéressait surtout aux situations dans lesquelles il y a équilibre thermique. Or, dans une population d’atomes en équilibre thermique, la majeure partie des atomes n’est pas dans un état excité – nécessaire à l’émission stimulée – mais dans son état fondamental, si bien que l’absorption du rayonnement l’emporte sur l’émission stimulée. Une population en équilibre thermique ne constitue donc pas un milieu amplificateur, même si certains rares photons sont issus de l’émission stimulée. Pour avoir un amplificateur de lumière, un laser, il est nécessaire qu’il y ait davantage d’atomes dans l’état excité que dans l’état fondamental : il faut provoquer une « inversion de population » et donc sortir de l’état d’équilibre thermodynamique. La réalisation d’un tel déséquilibre est dévolue à des méthodes dites de « pompage » qui apportent sans cesse de l’énergie et surpeuplent la population d’atomes dans l’état excité. Signalons que ce déséquilibre correspond en fait à un « équilibre à température négative ».
La cavité
L’inversion de population doit dépasser un certain seuil critique qui dépend des atomes du milieu actif. Dans la mesure où plus le nombre de photons est important et plus les chances d’obtenir une émission stimulée sont grandes, on peut abaisser ce seuil critique en augmentant le taux d’émissions stimulées, cela en faisant croître l’intensité du rayonnement. On y parvient par « amplification résonante » en utilisant une cavité constituée de deux miroirs parallèles espacés d’une distance égale à un nombre entier de demi longueurs d’ondes. Grâce à cette cavité résonante qui constitue un oscillateur optique, on obtient une amplification résonante de lumière qui favorise l’émission stimulée dans la direction de propagation de la lumière dans la cavité (perpendiculaire aux miroirs). L’un des miroirs est semi-réfléchissant afin de permettre au faisceau de sortir du dispositif.
En résumé un laser est réalisé grâce à la conjugaison de trois éléments :
1 – Un milieu actif pour l’émission stimulée.
2 – Une « pompe » pour créer l’inversion de population.
3 – Une cavité résonante pour augmenter le taux d’émission stimulée, sélectionner une direction privilégiée d’amplification et affiner la monochromaticité du rayonnement.
Signalons toutefois le cas particulier du laser à diazote où l’inversion de population est si importante que l’on obtient un laser sans aucune cavité. On parle d’émission super-radiante. Ce laser est surtout employé comme « pompe » pour obtenir l’inversion de population dans les lasers à colorants.
Les premières réalisations
La décennie 1950-1960 marque la naissance des premières réalisations. En 1952, le Français Alfred Kastler (1902-1984, prix Nobel de physique 1966) invente une technique de pompage optique. En 1954, Charles Townes (né 1915, prix Nobel de physique 1964) invente le MASER, un amplificateur de micro-ondes (1,25 cm de longueur d’onde) par émission stimulée. C’est un maser qui permettra à Penzias et Wilson de révéler en 1965 l’existence d’un fond de rayonnement cosmologique à 2,7 K. En 1958 Townes et Arthur Schawlow (1921-1999, prix Nobel de physique 1981) établissent le principe de réalisation du laser. Deux ans plus tard, l’Américain Theodor Maiman (1927-2007) met au point le premier laser : le milieu actif, amplificateur, était constitué d’ions chromes Cr3+ dans un barreau de rubis ; la méthode de pompage était optique (un flash de lumière blanche). En cette même année 1960, l’Iranien Ali Javan (né 1926) « naturalisé américain » réalise le premier laser à gaz. C’était un laser « hélium-néon », très couramment employé encore de nos jours, qui donne une lumière rouge caractéristique du néon constitutif du milieu actif de ce laser ; l’hélium joue un rôle essentiel dans le pompage dont l’énergie est apportée sous forme de décharges électriques. En 1962, deux physiciens français, Bernard et Durrafourg, établissent la théorie des lasers à semi-conducteurs et la même année IBM et General Electric réalisent le premier laser de ce type.
Quelques exemples d’utilisation des lasers
Depuis les années 1960, un très grand nombre de lasers ont été mis au point : il en existe actuellement plus d’une centaine de modèles qui diffèrent par leur milieu actif, la méthode de pompage, la puissance. A cette grande variété correspondent de très nombreuses applications. Parfois, on cherche une puissance importante, d’autres fois une très grande directivité ou une bonne monochromaticité, etc. Le choix du laser dépend de l’usage auquel il est destiné.
Télémétrie et vélocimétrie
On trouve dans les magasins de bricolage de petits lasers qui permettent de mesurer les distances. A une autre échelle, la télémétrie laser est employée pour mesurer précisément la distance Terre-Lune grâce à des miroirs placés sur la Lune lors des missions Apollo. La mesure du temps d’aller retour de la lumière permet de déterminer la distance avec une très faible incertitude (3 mm en 1999). Cette mesure est en fait beaucoup plus difficile qu’elle ne paraît. En effet, ce n’est qu’une très petite fraction des photons émis qui retourne vers le détecteur au sol : de l’ordre de 1 sur 1021 seulement. De plus, il faut les détecter au milieu d’un bruit de fond considérable.
Dans certaines applications, le laser est employé comme radar : on obtient un lidar. Selon ses variantes, un lidar permet de mesurer la vitesse des voitures sur les routes, d’analyser la composition de l’air en polluants ou de déclencher la foudre. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un laser extrêmement puissant (1012 W) émettant des impulsions très brèves (10-13 s) : le faisceau ionise l’air suffisamment sur son passage pour déclencher la foudre. On obtient ainsi un paratonnerre optique.
Lecteurs CD-DVD
La lecture d’un CD ou d’un DVD passe par l’emploi d’un laser. En effet, le codage binaire, quelque peu similaire au code morse, qui permet de transcrire une information à l’aide de deux signes (point-trait), deux valeurs (0-1), deux états (on-off) se traduit dans les supports CD-DVD par des zones qui renvoient ou non la lumière issue d’un laser. Dans les versions réinscriptibles de ces supports, c’est encore grâce à un laser qu’une zone peut à volonté être rendue réfléchissante ou non réfléchissante. Par ailleurs, en raison de la longueur d’onde plus courte de la lumière bleue, l’emploi d’un laser de cette couleur permet d’inscrire davantage d’informations par rapport à un laser rouge. Les lasers bleus sont en cours de commercialisation.
Le laser en médecine et en biologie
On emploie les lasers en ophtalmologie, notamment pour recoller par photo coagulation les rétines décollées. Le laser permet aussi dans certains cas de détruire des tumeurs. On peut également employer des faisceaux laser comme pinces et ciseaux optiques permettant de manipuler des chromosomes par exemple.
Le laser et l’usinage
L’industrie automobile et l’industrie textile font un grand usage des lasers pour la découpe. A titre d’exemple, avec un laser CO2 de 800 W, il est possible de découper une tôle de 1 mm d’épaisseur à la vitesse de 5 m à la minute.
La fusion thermonucléaire
Une des voies vers la fusion thermonucléaire contrôlée passe par l’usage de lasers ultra puissants, comme le laser Mégajoule en développement à Bordeaux : 240 faisceaux laser ultraviolets déposeront 2.106 joules en 10-12 seconde dans un volume de quelques millimètres cubes enfermant le mélange fusible deutérium-tritium. Ce laser devrait être opérationnel en 2010.
Atomes ultra-froids
En 1997, Claude Cohen-Tannoudji s’est vu décerner le prix Nobel de physique pour ses travaux relatifs au refroidissement des atomes, travaux grâce auxquels il a su refroidir des atomes aux environs de un millionième de Kelvin seulement au-dessus du zéro absolu ! Le ralentissement jusqu’à la quasi immobilisation des atomes est obtenu grâce à la pression (de radiation) de plusieurs faisceaux lasers.
Le laser en chimie
Grâce à des impulsions ultra brèves délivrées par certains lasers, dits « femtosecondes », il est possible de suivre à l’échelle atomique et moléculaire le déroulement d’une réaction chimique. Pour ses travaux en femtochimie, Ahmed Zewail a reçu le prix Nobel de chimie en 1999.
Lasers naturels
Au cours des années 1960 les physiciens découvrent dans certains nuages denses interstellaires des émissions si intenses qu’elles ne pouvaient résulter que d’une amplification par émission stimulée. Il s’agissait de rayonnement micro-ondes, donc de masers. Plus récemment, on a découvert le même phénomène mais dans le domaine optique, dans les atmosphères de Vénus et de Mars : des raies infrarouges de CO2 à 10,4 et 9,4 micromètres. Il est même possible que l’on ait observé un laser cosmique UV à 0,25 micromètre dans l’un des nuages issus de l’explosion de l’étoile η Carinae. Dans ces exemples, il n’y a bien entendu aucun oscillateur ; il s’agit simplement d’une amplification par émission stimulée. Le rôle de « pompe » est souvent joué par le rayonnement d’une étoile voisine.
Source : www.science.gouv.fr
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