L’effet de la crise sur la recherche et l’innovation


Un panel d’experts réunis récemment à Bruxelles s’accorde à dire que l’impact de la crise financière sera très fort sur l’économie de la recherche. Car des changements structurels ont rendu la recherche plus vulnérable, en accentuant les comportements procycliques en matière de financement.

Il s’agit premièrement d’un rétrécissement du secteur public de la recherche. Dans tous les pays de l’OCDE, on est passé d’une situation où le privé et le public finançaient la recherche à part plus ou moins égale jusque vers les années 1980 à une situation où le rapport est de 70% pour le privé à 30% pour le public. C’est certainement une bonne évolution mais la capacité stabilisatrice des États sur le plan des financements, par l’intermédiaire d’un secteur public de recherche puissant, adossé à des missions de haute priorité telles que celle de la défense ou celle d’accomplir certaines percées technologiques, s’est affaiblie.

L’autre changement structurel qui fait question aujourd’hui est relatif à la désintégration verticale qui s’est mise en place dans de nombreux secteurs. Une myriade de petites firmes s’est intercalée entre la recherche publique et les grandes firmes intégrées pour se spécialiser dans la recherche et l’innovation, sur des segments de marché étroits, souvent très en amont. Elles élaborent des connaissances et des solutions technologiques très spécifiques qu’elles espèrent vendre ensuite aux grandes entreprises qui développeront les produits sur cette base. Cette tendance est bien sûr très claire dans le domaine des biotechnologies mais elle concerne aussi l’industrie des PCs, la logistique, ainsi que de nombreuses nouvelles industries à forte activité entrepreneuriale telles que les fournisseurs de services et d’information sur Internet ou les services financiers.

L’exemple du domaine de la pharmacie et de la biotechnologie est intéressant. Voilà un domaine où les fondamentaux de l’innovation sont bons : les opportunités d’inventions et d’innovations n’ont jamais été aussi grandes et la demande n’est pas près de diminuer (par exemple contre le cancer). Mais la viabilité de l’innovation par les firmes verticalement désintégrées, non diversifiées, en manque de cash et dépendantes de finance externe est désormais en question. La crise de l’industrie du capital-risque va les affaiblir, de même que l’augmentation des primes de risques pour certains outils de financement.

Quels sont les pays qui souffriront le plus sur le plan de la recherche et de l’innovation? On peut oser la conjecture suivante: ce sont, paradoxalement, les pays caractérisés par un haut développement financier qui seraient touchés de plein fouet. L’argument est celui de la co-spécialisation de ces pays dans un secteur financier développé et dans les industries qui ont recours fortement aux financements externes. Ce sont donc les États-Unis et la Grande-Bretagne plutôt que la France ou l’Allemagne.

Les réponses de politique économique pour le domaine de la recherche et de l’innovation ne sont pas nouvelles. Il convient de se souvenir de la façon dont différents pays ont managé le cycle lors de la récession des années 90; épisode glorieux pour certains, moins glorieux pour d’autres. Tandis que, comme le schéma le montre, la Suède et la Finlande voyaient leurs investissements privés en recherche s’envoler en dépit de la crise, ces mêmes investissements déclinaient en Suisse en raison de cette crise. Les gouvernements de Suède et de Finlande avaient su produire les politiques d’incitation contracycliques permettant le maintien et le développement des capacités d’innovation; ce qui a permis à ces deux pays de sortir de la phase de récession dans des positions de leadership mondial sur certains domaines importants de l’économie de la connaissance. La Suisse avait alors reculé nettement sur le plan de ses performances innovatives, avant de se rétablir, assez rapidement il est vrai.

Ces réponses de politique économique doivent s’adapter aujourd’hui aux changements structurels évoqués; c’est-à-dire que plus que jamais ce sont, non pas les petites firmes en tant que telles, mais les nouvelles firmes qui doivent être soutenues sur le plan de l’accès à des solutions de financement adéquates. L’Europe a peiné jusqu’à présent à développer les instruments financiers adaptés à des petites firmes en croissance. La crise est une opportunité pour la mise en place de cette offre d’instruments adéquats.

Enfin, comment ne pas penser que la période actuelle est propice au lancement de ces fameux grands programmes européens sur le changement climatique, l’environnement, l’énergie, les systèmes de santé. Chacun sait qu’il s’agit de domaines où «plus de R & D» est une priorité pour résoudre les problèmes structurels; il s’agit donc de domaines dans lesquels il sera relativement aisé de former des coalitions d’investisseurs publics et privés pour engendrer des engagements lourds et de long terme. C’est le bon moment. D’une part en raison de l’ampleur des problèmes structurels; d’autre part ces programmes nous aideront à manager le cycle économique du point de vue de l’offre de financement à la R & D et l’innovation.

Cependant une attention toute particulière doit être portée au «design» de ces programmes pour ne pas répéter les erreurs de certains pays dans la conception et la gestion de programmes centralisés. Notamment, l’articulation entre la politique des grands programmes et la politique de la concurrence est centrale, de même que l’application immédiate d’un «Small Business Act» à l’européenne selon lequel un pourcentage non négligeable des financements devrait aller aux nouvelles et petites entreprises.

Enfin, identifier quelques grands domaines prioritaires n’est pas suffisant. Le véritable défi est de provoquer un «big push», c’est-à-dire une création effective de capacités d’innovation et de développement des solutions technologiques adéquates. Engendrer le «big push» implique d’identifier correctement les complémentarités et les externalités pécuniaires entre les différents secteurs concernés par tel domaine (par exemple le changement climatique) pour produire les incitations là où le développement d’activités engendrera sans aucun doute les effets positifs externes, susceptibles d’entraîner le reste du système dans la révolution technologique visée.

Je remercie Jean Imbs (Université de Lausanne) pour un échange fructueux sur les questions soulevées ici.

Auteur : Dominique Foray, professeur à l’EPFL, chairman du groupe d’experts «Knowledge for Growth» (Commission européenne)

Source : www.letemps.ch


En savoir plus sur Invention - Europe

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

C'est à vous !

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close