Congrès de l’AUTM 2011 : la réforme des brevets en point de mire
Environ de 1.300 professionnels du transfert de technologie et spécialistes de la propriété intellectuelle ont assisté au congrès annuel de l' »Association of University Technology Managers » (AUTM), lieu de réunion incontournable des praticiens de la valorisation de la recherche. La fréquentation en est en baisse régulière puisque l’on comptait 1.700 congressistes en 2009 et 1 500 en 2010.
A l’occasion du trentième anniversaire du « Bayh-Dole Act », l’accent a été mis cette année sur les améliorations à apporter au niveau législatif, opérationnel et journalier des bureaux de transfert des établissements producteurs de connaissances. On le sait, cette loi de 1981 avait pour but de déléguer au niveau de ces derniers l’exploitation de la PI issue de projets financés par le Gouvernement fédéral.
Pour rappel, l’AUTM est une organisation à but non-lucratif qui promeut les professions liées aux transferts de technologie. Elle compte plus de 3 097 membres en 2010 dont 778 nouveaux. Ce chiffre a fortement diminué depuis 2008. Mais, fait à signaler, l’association a pour la première fois de son histoire obtenu un bilan financier excédentaire en 2010 à hauteur de 193.000 dollars (en 2009, son déficit était de 311.000 dollars). Les revenus de l’association viennent essentiellement du congrès annuel (40%), des adhésions (23%), des réunions régionales (6,5%), de la formation (6%) et du mécénat (3%).
Présidée par Ashley Stevens de l’université de Boston, l’AUTM est en pleine restructuration. Le comité de direction a été reconstitué afin d’élaborer une stratégie à long terme. L’objectif est devenir plus « global ». Dans cette optique plusieurs initiatives ont été lancées, dont trois ATTP (« Alliance of Technology Transfer Professionals . » : ATMT [1], KCA [2], ASTP [3]) et des actions visant à davantage interagir avec les professionnels du transfert de technologie à l’international (Abu Dabi, Taïwan, etc.).
Lors de son discours d’introduction, le président A. Stevens a appelé à plus de coordination avec les réseaux internationaux (mise en place de statistiques, sondages sur l’activité de transfert, etc.). Un propos paradoxal quand on sait qu’une coordination avait été envisagée par le Réseau CURIE en France mais à laquelle l’AUTM n’a pas donné suite. Le Président de l’AUTM a, de plus, soutenu que la Grande-Bretagne possédait l’un des meilleurs modèles de gestion des activités de technologie transfert. Modèle qu’il connaît très bien étant lui-même britannique et ayant étudié à l’université de Oxford…
Intitulés « Improving the odds » les débats se sont focalisés sur :
1. Le projet de loi de la réforme des brevets
Cette réforme, dont nous avons montré dans diverses contributions les tenants et les aboutissants [4], est soutenue par l’AUTM mais est fortement rejetée par l’ensemble de la communauté (avocats et praticiens de la valorisation). Quatre éléments de la réforme font l’objet d’un désaccord avec la communauté des experts du transfert de technologie [5] :
– L’adoption du principe « first-to-file » (prise en compte de l’antériorité du dépôt du brevet) par opposition au principe actuel « first-to-invent » (prise en compte de l’antériorité de l’invention) est fortement décriée. Les praticiens craignent de décourager les chercheurs à divulguer leur invention et à déposer des brevets, donc de décourager l’entrepreneuriat, maître-mot aux Etats-Unis. Cependant, de son côté, l’AUTM voit dans ce changement de principe l’opportunité de se rapprocher des autres systèmes de brevets (Europe, etc.).
– L’élimination du délai de grâce (« grace period »)
Dans le système actuel, les chercheurs peuvent divulguer leurs résultats scientifiques tout en conservant la possibilité de déposer, dans un délai maximum de 12 mois, une demande de brevet visant à leur invention. En bannissant ce période de grâce, les praticiens craignent que les chercheurs soient contraints à publier plutôt qu’à protéger leur invention, suivant en cela le principe « Publish or perish ».
– Processus de ré-examen ou de révision après l’attribution du brevet
Dans le système actuel, la capacité à contester la brevetabilité d’un brevet auprès des tribunaux est limitée à des motifs fondés sur l’état de l’art antérieur du brevet ou aux publications. Elle est limitée à une tierce partie. La réforme propose que toute partie puisse contester une décision de l’USPTO lorsque le contenu d’un brevet est revendiqué dans l’année suivante sa date d’attribution.
Les universités s’opposent à cette disposition, susceptible de conduire à des charges coûteuses et répétitives sur les brevets valides. Ce système encouragerait les litiges, contribuerait à l’affaiblissement de la valeur des brevets et réduirait au final l’investissement et l’innovation.
– Le plafonnement des dédommagements
Les praticiens pensent que cela pourrait ne pas décourager les contestations et empêcherait les universités de se lancer dans des batailles judiciaires face aux contrevenants.
Un des intervenants en a même appelé à envoyer des courriers ou mails de protestation argumentés à la Chambre des représentants. La grande crainte, en effet, est de décourager les petites et moyennes entreprises à innover et de favoriser les grandes sociétés.
2. Davantage de collaboration entre les universités et les entreprises privées
La tendance va croissant. Il peut s’agir de collaborations avec des entreprises informatiques, pharmaceutiques ou autres.
La tendance est plus grande dans le secteur de la pharmacie où les acteurs cherchent à externaliser leur recherche. En effet, le manque de nouveaux produits dans le portefeuille des grandes sociétés pharmaceutiques, par exemple, les pousse à accentuer les collaborations avec les universités à coup de millions de dollars. Ces collaborations peuvent porter sur l’identification de nouvelles molécules ou sur l’extension d’indication de molécules existantes (cf. la collaboration entre Pfizer et l’université de Washington).
Les institutions françaises peu représentées
Huit représentants d’institutions françaises étaient présents. Le réseau CURIE, l’Onera, l’Institut Pasteur, l’AP-HP, Auvergne valorisation, la technopole Rennes Atalante ainsi que le cabinet d’avocats Vidon. Parmi les nombreuses présentations (47 sessions et 6 ateliers), uniquement 2 ont été données par des représentants d’institutions françaises. Ces deux présentations ont visiblement intéressé. De même que les collaborations avec la France.
La première intervention a été faite par le Dr Philippe Gorry, président du réseau Curie. Il s’est attaché à présenter les politiques d’innovation au transfert technologique universitaire en France. En réponse au constat que le paysage français de la valorisation est fragmenté, le Dr Gorry a confirmé la dotation de 3,5 milliards d’euros [6] à la valorisation de la recherche par l’intermédiaire du grand emprunt :
– 2 milliards pour la mise en place de 4-5 instituts de recherche technologiques (IRT) en collaboration avec l’industrie ;
– 1 milliard d’euros pour soutenir les bureaux de valorisation universitaire. Elle inclut la mise en place de 10 dispositifs SATT (sociétés d’accélération de transfert technologique) à hauteur de 900 millions d’euros par des groupements d’établissements et d’organismes de recherche. Elle y inclut également 50 millions d’euros dédié aux consortial de valorisation thématiques (cinq CVT) et 50 millions d’euros consacrés à un apport en capitaux propres par la CDC pour le compte de l’Etat dans le fonds France Brevets ;
– 0,5 milliard pour soutenir les Instituts Carnot.
Dans une autre session, la Dr. Florence Ghrenassia est intervenue sur le modèle du bureau de valorisation de l’AP-HP. En effet, les chiffres sont probants. Avec 6,486 milliards d’euros de budget de fonctionnement, l’AP-HP qui regroupe 37 hôpitaux dans la région Parisienne a su obtenir des résultats concluants, malgré un paysage de la valorisation complexe en France :
– 100 brevets déposés dont 50% sous licence durant les 2 dernières années ;
– 10 millions d’euros venant des revenus des licences ;
– 30 start-up créées.
Cette conférence annuelle de l’AUTM marque un tournant pour ses dirigeants. Ils ont mis en avant les résultats de leur changement de stratégie ainsi que l’impact de leurs interventions auprès des autorités parlementaires (recommandations, débat sur la réforme des brevets, etc.) et leur impact à l’international puisque l’activité de transfert de technologie au sein des universités aux Etats-Unis continue d’être une référence.
[1] ATMT, Association of Technology Managers in Taiwan
[2] KCA, Knowledge Commercialisation Australasia
[3] ASTP, Association of European Science & Technology Transfer Professionals
[4] BE États-Unis 153, 1554 & 155 « L’improbable réforme de l’USPTO et du système des brevets américains »
[5] BE États-Unis 207 « Réforme du système des brevets américains : prochain passage à l’acte ? » www.bulletins-electroniques.com/actualites/63345.htm
[6] Voir le détail du programme Investissement d’avenir : redirectix.bulletins-electroniques.com/XTapt
Source : www.bulletins-electroniques.com
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