En France, le nombre d’entreprises créées ne cesse de croitre (+77 % par rapport à 2008). Cependant, un complexe d’infériorité persiste dans le domaine de l’entrepreneuriat. Où est donc la source du mal-être français ? Pourquoi persister à dire que l’on manque d’entrepreneurs ? Et si l’éternelle flagellation marquait une frustration ?
« La France commencera l’année avec l’esprit d’entreprise et pleine de sérénité ». C’est sur ces mots que le Général de Gaulle débute la traditionnelle cérémonie des vœux pour l’année 1961. En 2013, la nécessité d’une confiance dans l’esprit d’entreprendre reste cruciale pour le développement de l’Hexagone. En effet, le dernier rapport du Centre de l’Analyse Stratégique pointe du doigt une contradiction forte. D’un côté, la France est non seulement le pays où la volonté entrepreneuriale est l’une des plus fortes au monde (plus de 18 % des individus se confèrent une vocation de création d’entreprise), mais aussi celui où l’image de l’entrepreneur est la plus respectée et adulée (plus de 90 % des français ont une image positive de l’entrepreneur).
De l’autre, un complexe d’infériorité persiste. Par exemple, Jacques Attali, dans Une Brève histoire de l’avenir rappelle que : « la France n’a jamais réussi à former, à susciter, ni à accueillir une classe créative : elle n’a jamais formé assez d’ingénieurs, assez d’entrepreneurs ». En 2011, environ 550 000 entreprises ont été créées en France, marquant une augmentation de 77 % par rapport à 2008. Où est donc la source du mal-être français ? Pourquoi persister à dire que l’on manque d’entrepreneurs ? Et si l’éternelle flagellation marquait une frustration ?
Frustration, c’est bien le mot. Ainsi, que le pointe le Centre d’Analyse Stratégique, nous nous comparons, pour dynamiser l’esprit d’entreprise, principalement aux États-Unis, à l’Angleterre et à l’Allemagne. En conséquence, à de nombreuses reprises, les gouvernements et les entreprises ont cherché à répliquer le modèle américain. Le meilleur exemple étant le modèle de Paris-Saclay pour répliquer le modèle des universités américaines qui sont vantées pour leurs synergies entre des étudiants passionnés, des investisseurs motivés et des coachs expérimentés à travers les disciplines, les savoirs et les générations. Pourtant, peut-on dire que cette comparaison est pertinente ? N’est-on pas en train de comparer ce qui n’est pas comparable ?
En effet, suffit-il que Marianne porte le blouson de l’Oncle Sam pour qu’un mythique entrepreneur, un Marck Zuckerberg à la française surgisse de nos terres ?
La contradiction peut être résolue dès lors qu’une différence entre des innovations incrémentales et des innovations de rupture est marquée. La France, en suivant le modèle étranger, a tenté de soutenir l’entreprenariat grâce à, notamment, une standardisation accrue des processus de création. Business Angels, incubateurs, filières entreprenariat dans les meilleures écoles de commerces et d’ingénieurs, bourses publiques pour la création d’entreprise : le parcours semble tracé. Mais pour qui ?
Il semblerait que cette standardisation fasse la part belle aux produits faciles à introduire sur le marché ; dès lors cette politique se réclame de la définition donnée par l’OCDE de l’innovation, qui la voit comme une « création de produits destinés au marché ». Pourtant, le marché, la quête du bénéfice devraient-ils être nécessairement la motivation première du jeune entrepreneur ?
Facebook, avant d’avoir le succès qu’on lui connaît, fut un projet lancé par un jeune homme désespéré de ses déboires amoureux. Macintosh, par deux créateurs rejetant les normes existantes dans les métiers de l’informatique et soucieux d’une esthétique jusque-là délaissées par les ingénieurs. Ainsi, la création n’ayant comme seul but son acceptation sur un marché concurrentiel, fait la part belle aux produits rentables à court terme et bride la découverte d’innovations de rupture. Pasteur a découvert le vaccin contre la rage par hasard. N’est-il pas vain de vouloir formaliser ce hasard ?
Dans les trois exemples précédemment cités et fréquemment repris par la littérature, aucun des entrepreneurs n’avait la conscience d’en être un. À l’inverse, ceux qui s’engagent dans la carrière d’entrepreneur à la sortie de l’université ou de l’école sont au courant de leur situation. Naturellement, ils chercheront la reconnaissance sociale à travers le bien matériel. Ils monteront des PME dont ils chercheront souvent à vendre les fruits à des grands groupes qui les intégreront dans leurs stratégies. Incrémentation, encore une fois. Il semble donc que la jeunesse et le hasard, échappant de facto à une logique marchande, puissent pousser l’innovation de rupture.
En effet, si « on n’est pas sérieux quand on a 17 ans », a-t-on envie de prendre le risque d’entreprendre ? Le système d’éducation français, à travers les classes préparatoires et une compétition accrue lors des premières années d’enseignement, peut dégouter certains de l’entrepreneuriat. Notre ascenseur social menant de jeunes créateurs à la réussite n’est pas en panne, mais est codifié. En France, la liberté de créer son parcours est extrêmement limitée, d’autant plus que la centralisation autour de Paris augmente le complexe d’infériorité entre de jeunes entrepreneurs et leurs confrères qui auront suivi des voies moins risquées vers la réussite sociale.
Xavier Niel, qui a quitté la prépa pour lancer le minitel rose et est présenté comme le Steve Jobs à la française n’a jamais suivi la filière entrepreneurs d’une grande école de commerce. Il semble donc que l’innovation de rupture ne peut surgir d’élites trop formatées, qui ont éduqué pour diriger leurs produits vers le marché, et non pas vers l’assouvissement de leur créativité, de leur rêve de jeunesse.
S’en suit donc la frustration. À continuer comme ça nous n’aurons jamais de génies entrepreneuriaux, de Marck Zuckerberg français si nous cherchons le génie à travers une élite codifiée et voyant dans l’entrepreneuriat une discipline presque académique, semblable à l’histoire ou aux sciences.
Pour réussir, il faut apprendre à se lancer. Il faut de la liberté, de l’audace. Et le courage de suivre la recommandation de Beethoven : « il y a beaucoup à faire sur terre. Fais-le vite ! »
Auteur : Benjamin Boss, Etudiant à l’Essec, Président d’un think tank étudiant
Source : lecercle.lesechos.fr
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