La réforme du crédit d’impôt recherche coûte cher à l’État. Elle profite davantage aux grands groupes qu’aux PME innovantes.
Pour les chercheurs de Sanofi-Aventis, la pilule est amère. Début février, quelques jours avant d’annoncer 7,8 milliards d’euros de profits, le géant de la pharmacie a supprimé 900 postes dans la recherche en France (14 % des effectifs) et confirmé la fermeture de quatre sites. Chris Viehbacher, son patron depuis décembre 2008, entend mettre sous tension son pôle R&D (recherche et développement), dont les découvertes se raréfient. Dans les laboratoires, c’est la consternation. « La chasse aux coûts est dévastatrice. On a supprimé la moitié des projets », se désole Jean-François Chavance, de la CFDT.
Pourtant, au même moment, le groupe français a touché un joli chèque de l’État au titre du crédit d’impôt recherche (CIR), dispositif qui subventionne les dépenses de R&D : 100 millions d’euros, selon les estimations de Challenges. Cette enveloppe annuelle a été multipliée par six, grâce à la réforme du dispositif en 2008 qui l’a rendu beaucoup plus généreux. « L’Etat accroît ses subventions à une entreprise qui réduit son potentiel de recherche, déplore Thierry Bodin, le délégué CGT C’est inacceptable. »
Record
Victime de son succès, ce crédit d’impôt recherche, peu connu du grand public, est devenu un dossier explosif. Son coût s’est envolé pour les finances publiques, en passant de 430 millions d’euros en 2004 à plus de 4 milliards cette année. Soit deux fois plus que les dotations de l’État aux 85 universités.
La France est devenue la championne du monde des aides à la recherche. En additionnant les subventions directes (civiles et militaires) et le CIR, elles totalisent près de 7 milliards d’euros. Soit plus que le Canada et les États-Unis (en pourcentage du PIB), jusqu’alors les plus généreux. Aujourd’hui, l’État paie 27 % des dépenses de R&D des entreprises françaises, sachant que ces dépenses (1,1 % du PIB) restent, par exemple, deux fois moins importantes qu’au Japon et qu’en Suède.
Atouts
Est-ce bien raisonnable ? A l’Élysée et au ministère de l’Économie, on reste convaincu du bien-fondé de cette politique. « Elle vise à booster la recherche partout, y compris dans les grands groupes », lance un conseiller de Nicolas Sarkozy. « De tous les allégements fiscaux que nous avons réalisés, c’est de loin le plus efficace », assène un membre du cabinet de Christine Lagarde, la ministre de l’Économie. Un optimisme partagé par le Medef, qui a sorti un Livre blanc sur le sujet, avec moult témoignages positifs d’entreprises. « Ce soutien a permis de maintenir les dépenses de recherche pendant la crise et d’attirer des centres de R&D sur notre territoire », justifie Charles Beigbeder, président de la commission recherche-innovation du Medef. Il n’empêche. Le dispositif a de graves défauts qui risquent de le rendre aussi coûteux qu’inefficace.
Défauts
D’abord, le système favorise les grands groupes à outrance. Avant, le CIR était calculé sur la croissance des dépenses de R&D, afin de favoriser les PME innovantes. Depuis la réforme, il est basé sur le montant des dépenses, même si elles diminuent. « Nous sommes passés d’un dispositif incitant à la prise de risques à un autre qui subventionne la paresse », critique Philippe Pouletty, qui a longtemps présidé l’association France Biotech.
Surtout, le plafond d’aides – 16 millions d’euros – a été supprimé. Jusqu’à 100 millions de dépenses, l’État en rembourse 30 %. Au-delà, il n’en paie plus que 5 %, mais sans aucune limite… L’inspection des finances avait tiré la sonnette d’alarme, juste avant la réforme, dans un rapport confidentiel. Selon ses projections, l’aide aux PME allait doubler, mais, pour les grands groupes, elle serait multipliée par huit, avec en tête Thales et Safran, qui ont perçu respectivement 150 et 94 millions d’euros en 2009. Un diagnostic confirmé par la Direction du Trésor, qui a calculé que les PME (moins de 250 salariés) recevraient seulement 20 % des crédits supplémentaires. Toutefois, une enquête récente du ministère de la Recherche a nuancé ce constat : les PME auraient capté 42 % des gains de la réforme, contre 58 % pour les grandes entreprises.
Abus
Au-delà de ces incertitudes statistiques, une question demeure : est-il utile d’autant subventionner les grands groupes ? Dans son dernier rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires a pointé le danger : « Des effets d’aubaine pour les grandes entreprises qui auraient sans doute [ …] procédé à ces dépenses. » Une enquête du cabinet de conseil Booz Allen le confirme : le levier fiscal n’est que le sixième critère de localisation des activités de R&D en Europe, loin derrière la qualité du personnel et des infrastructures et les liens avec les universités. « L’incitation fiscale n’est pas un élément fondamental pour arrêter notre stratégie », admet volontiers un porte-parole de Sanofi-Aventis.
Ces effets d’aubaine inquiètent les parlementaires de la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée, qui vont bientôt rendre un rapport sur ce sujet. Jean Pierre Gorges, le rapporteur UMP, a même détecté des pratiques douteuses. D’après lui, les banques auraient conseillé aux entreprises de faire entrer dans le CIR les investissements informatiques liés à la mise en conformité aux normes de l’Espace unique de paiement en euros. « Ce détournement représenterait quelque 900 millions d’euros, soit près de 25 % des 4 milliards d’euros du CIR », s’étrangle le député.
Généreux avec les gros et les banquiers, ce système aide-t-il assez les petits, les PME innovantes ? Pas vraiment. Nombre de start-up se plaignent d’en avoir été exclues. « Certaines ont vu leur crédit d’impôt recherche diminuer de plusieurs millions d’euros. C’est stupide », dénonce Philippe Pouletty, directeur général de Truffle Capital, un fonds spécialisé dans les biotechs.
Ainsi, des sociétés prometteuses telles Pharnext (recherche médicale), Carmat, qui développe un coeur artificiel, et Deinove, spécialisée dans les technologies vertes, ont été mises à la diète. L’explication ? La réforme a imposé de déduire les avances remboursables (des prêts sans intérêt exigibles si le projet réussit) des dépenses de recherche éligibles au CIR. L’État a voulu mettre fin aux abus de certaines sociétés qui ne remboursaient pas les avances et touchaient un crédit d’impôt. Résultat : « On a supprimé des aides aux sociétés qui ont le plus besoin de fonds propres et de trésorerie », tempête Lison Chouraki, commissaire aux comptes de plusieurs PME innovantes. Qui se demande elle aussi à quoi servent les milliards d’euros d’aide à la recherche…
Les consultants engrangent aussi
Alma Consulting, Subventium, LowendalMasaï… Les consultants se sont lancés en masse dans le conseil au crédit d’impôt recherche. « Bien plus simple, le nouveau dispositif peut bénéficier à beaucoup plus de PME », se réjouit Abbas Djobo, le spécialiste du sujet à Alma Consulting.
Cet engouement entraîne un certain nombre de dérives. D’abord, dans les rémunérations. Les consultants prélèvent une success fee, une commission perçue seulement s’ils arrivent à obtenir la subvention. Elle peut varier de 10 à 30 % de l’aide de l’État ! « Ces montants nous préoccupent », admet un conseiller de la ministre de la Recherche Valérie Pécresse.
D’autant que ces commissions poussent au crime en incitant les consultants à gonfler les dépenses de recherche et développement de leurs clients. Avec le risque de subir un redressement du fisc, qui veille au grain.
TÊTES CHERCHEUSES (Dépenses en R&D, en 2008)
Sanofi-Aventis : 4 608 millions d’euros
Alcatel-Lucent : 3 167 millions d’euros
Peugeot (PSA) : 2 372 millions d’euros
Renault : 2 235 millions d’euros
France Télécom : 900 millions d’euros
Valeo : 786 millions d’euros
Vivendi : 721 millions d’euros
Schneider : 708 millions d’euros
Alstom : 621 millions d’euros
Total : 612 millions d’euros.
Auteur : Thierry Fabre
Source : www.challenges.fr
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