Georgette, la fourchette à tout faire


D’un village de l’Ariège aux tables des chefs étoilés, itinéraire d’une fourchette multifonction et de son inventeur, Jean-Louis Orengo.

Aobserver sa forme hybride – un manche de couvert classique, un côté bombé, un autre pourvu d’extrémités pointues –, les observateurs se contredisent : « c’est une cuillère ! », « c’est une fourchette ! ». Non, c’est Georgette. Tout d’inox vêtu, ce curieux prédateur des restaurants pique ses proies solides à l’aide de ses dents et recueille ses aliments liquides grâce à son crâne en forme de cuillère classique. Cette métaphore animalière, l’inventeur de Georgette en fait volontiers usage. Jean-Louis Orengo, 59 ans, passionné de nature et d’ethnologie, aime à comparer sa création à la patte d’un animal.

Jean-Louis_Orengo_2012

Jean-Louis Arengo et deux exemplaires de Georgette.

Un outil de trappeur

C’est une aventure de trois mois dans le Grand Nord canadien, en 1988 avec un ami, qui donne à l’Ariégeois l’idée d’un couvert qui fasse office à la fois de cuillère, de fourchette et de couteau. « Un avion nous a déposés au nord du lac Saint-Jean. On n’avait pas de chiens, on tirait nous-mêmes nos traîneaux. Pour les alléger, nous avions décidé de n’emporter que les couteaux et les fourchettes. Mais parfois, elles venaient à manquer… Suite à l’expédition, je me suis mis à réfléchir. » De retour dans son village de Saint-Lizier, Jean-Louis, passionné de moulages d’empreintes animalières, met au point un premier prototype : « J’ai pris une fourchette dans laquelle j’ai ajouté de la pâte à modeler. J’ai comblé les fentes tout en laissant quatre dents, avant d’en faire un moulage. Ainsi, les dents qui restent ne gênent pas pour prendre une soupe !» Ses amis apprécient l’idée, mais trouvent le prototype encore inadapté à l’usage courant. L’inventeur revoit sa copie, la protège par un brevet et tente de la faire commercialiser à Paris, sans succès.

Quand Georgette rencontre Alain

C’est plus tard, lors d’un dîner d’amis à la fin des années quatre-vingt-dix, que se produit le déclic. L’épouse de Jean-Louis Arengo invite deux nouveaux venus à Saint-Lizier, Daniel et Virginie ; elle est ingénieure dans les arts et métiers, lui dans l’automobile. Ils tombent amoureux de l’invention de Jean-Louis et s’investissent dans son affaire, en commençant par baptiser l’ustensile. Ce sont eux qui trouvent Georgette, un prénom très français, facile à prononcer, féminin, en accord avec les arts de la table et… qui rime avec fourchette. Jean-Louis adhère immédiatement : « A un moment, j’avais pensé à l’appeler «  la Cuichette  », pour «  cuillère et fourchette  » ! », se souvient-il en riant.

Daniel et Virginie s’occupent activement de la commercialisation de Georgette : étude de marché, marketing, démarchage dans les salons professionnels. Ils perçoivent en l’ustensile un potentiel que Jean-Louis ne soupçonnait pas ; loin de l’univers simple et naturaliste de ses origines, ils visent le monde de la gastronomie de luxe. Et visent juste.

Alain Ducasse a finalement vent de l’invention et en commande quelques dizaines. Les chefs étoilés Hélène Daroze, Franck Putelat et Gilles Goujon l’imiteront ensuite. « Je n’aurais jamais imaginé qu’elle serait utilisée de cette manière », s’étonne encore aujourd’hui l’inventeur ariégeois, qui a vendu 10.000 Georgette en une dizaine d’années.

Le couvert du futur ?

Jean-Louis Arengo n’est pas devenu le Mark Zuckerberg de la gastronomie, mais il est heureux du succès grandissant de sa Georgette. Chose amusante, ce n’est que l’année dernière qu’il a découvert le monde dans lequel sa création évolue à présent, en allant manger chez Hélène Daroze à Paris : « A côté de moi, un couple utilisait Georgette. J’ai passé tout le repas à les observer. Ils l’utilisaient avec une telle facilité, ils y étaient parfaitement habitués ! »

Alors, tous accros à Georgette dans quelques années ? « Ce serait présomptueux, mais j’ai envie de dire oui, avance Jean-Louis. Donnez une Georgette à quelqu’un pendant une semaine, et il ne peut plus s’en passer !» Qui vivra verra. En attendant, Jean-Louis prépare son coup : des modèles de Georgette pour les gauchers verront le jour à l’automne 2012.

Petite histoire de la fourchette

Le mot « fourchette » vient de l’italien « forchetta », « petite fourche ». Apparue dans l’Empire byzantin, elle est introduite en Europe vers 1056, en Italie, et ne sert à l’origine qu’à manger les pâtes. Elle arrive à la Cour de France en 1324. Elle séduit Henri III deux siècles plus tard, lors d’un voyage en Italie, mais son usage ne se généralise sur les tables qu’à la fin du XVIIe siècle.

Auteur : François Oulac

Source : www.lanouvellerepublique.fr


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