Près de trente ans après la signature de la Convention sur le brevet européen, l’Organisation européenne des brevets a posé les jalons en vue d’une vaste réforme du système du brevet européen. Le but de cette réforme est d’instaurer en Europe un système des brevets qui soit efficace, orienté vers l’avenir et au service des utilisateurs. La réforme porte sur trois points majeurs :
– révision de la Convention sur le brevet européen (CBE) ;
– réduction des coûts de traduction des brevets et instauration d’un système juridictionnel unitaire pour les brevets européens ;
– mise en place d’un brevet communautaire.
Tandis que la mise en place du brevet communautaire relève de la compétence de l’Union européenne, les deux autres volets de la réforme découlent d’une initiative des vingt Etats membres de l’Organisation européenne des brevets. Les trois projets de réforme sont toutefois on ne peut plus étroitement liés, le brevet européen, qui existe déjà, et le brevet communautaire, qu’il reste à créer, constituant en effet un système de brevet intégré à l’échelle de l’Europe. Le succès de la réforme du système du brevet européen existant actuellement influera de façon décisive sur l’élaboration d’un brevet unitaire au niveau de l’UE.
Pourquoi réformer le système du brevet européen ?
L’intégration politique et économique de l’Europe, l’augmentation rapide du commerce mondial, l’émergence de nouvelles technologies et la concurrence économique accrue ont influencé de façon déterminante l’évolution du système du brevet européen. La promotion et la protection des innovations jouissent d’une grande priorité dans la politique économique, une protection efficace par brevet étant de plus en plus souvent reconnue comme un facteur clé.
Le système commercial mondial qui s’inscrit dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMT) accorde également une grande valeur à la propriété incorporelle et fixe la protection de la propriété intellectuelle dans l’accord sur les ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) par le biais de normes minimales. Les droits de propriété industrielle, et notamment les brevets, s’en sont trouvés considérablement renforcés sur le plan institutionnel. L’émergence de technologies nécessitant de considérables recherches et leur présence croissante sur le marché ont sensiblement rehaussé l’importance pratique de la protection par brevet.
Ces facteurs expliquent que l’évolution du système des brevets ait été extrêmement dynamique et que la demande pour les brevets dépasse toutes les prévisions :
– Croissance géographique :
– l’Organisation européenne des brevets compte désormais vingt Etats membres, 23 ans après sa création ;
– six autres Etats (Etats liés par des « accords d’extension ») reconnaissent la validité des brevets européens sur leurs territoires, sans être membres de l’Organisation ;
– huit Etats d’Europe centrale et orientale ont été invités par le Conseil d’administration de l’Organisation à adhérer à partir du 1er juillet 2002.
– Evolution de l’Office européen des brevets :
– croissance rapide des effectifs, qui sont passés de 940 agents en 1978 à près de 5 000 agents cette année ;
– quatre lieux d’implantation (Munich, La Haye, Berlin et Vienne), avec extension des bâtiments à Munich et à La Haye ;
– budget en hausse : près de 2 milliards de DEM en 2001, comparé à 98 millions de DEM pour le premier exercice budgétaire en 1978.
– Evolution de la charge de travail :
Le nombre de demandes de brevet, qui était de 3 600 en 1978, devrait atteindre 140 000 cette année : le quadruple du maximum de 30 000 demandes européennes prévus par an lors de la création de l’Organisation est déjà atteint. Depuis 1995, le nombre de demande augmente de 70%. L’OEB joue un rôle charnière dans le traitement des demandes internationales au titre du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) : environ 60% des travaux de recherche et d’examen dans le cadre du PCT sont effectués par l’OEB. L’Office a pris plusieurs mesures afin de venir efficacement à bout de la charge de travail en croissance rapide. Le projet pilote de fusion de la recherche et de l’examen en matière de brevets (projet BEST) fait partie de ces mesures.
– Evolution du droit des brevets :
Depuis la création de l’Organisation en 1977, le progrès technique s’est enrichi de domaines qui relevaient alors encore de la science-fiction : informatique et commerce électronique, biotechnologie et génie génétique. La pratique suivie par l’Office en matière de brevets et la jurisprudence des chambres de recours se trouvent confrontées à la nécessité de trouver, sur la base de la Convention, des solutions justes pour protéger ces nouvelles technologies.
En outre, le système du brevet européen est également porté par l’évolution du droit au niveau international, à laquelle il doit réagir avec souplesse et diligence.
Près de 30 ans après la signature de la Convention sur le brevet européen, le 5 octobre 1973 à Munich, les vingt Etats membres de l’Organisation européenne des brevets ont amorcé une vaste réforme du système du brevet européen, dont la révision de la Convention par la Conférence diplomatique 2000 constitue le pilier central. La réforme a aussi pour but de mettre en place une procédure de délivrance des brevets européens qui continue de bien fonctionner à l’avenir et qui réponde aux besoins des utilisateurs, tout en assurant une adaptation pragmatique et souple de cette procédure à l’évolution technique et juridique.
Les éléments de la réforme du système du brevet européen
a) Réduction des coûts et règlement des litiges Parmi les objectifs fixés figurent notamment la réduction des coûts de la traduction des brevets européens délivrés et la mise en place d’un système juridictionnel unitaire. Les Etats membres de l’Organisation ont amorcé ces importants projets de réforme lors de la conférence intergouvernementale qu’ils ont tenue à Paris en juin 1999, et ils les ont poursuivis de façon décisive lors d’une deuxième conférence, qui a eu lieu à Londres en octobre dernier.
En ce qui concerne les coûts, un accord facultatif a été conclu à Londres, en vertu duquel les Etats renoncent en tout ou en partie à la traduction des brevets européens dans leurs langues nationales respectives. Il est renoncé à la traduction lorsque le brevet est délivré pour des Etats qui ont comme langue officielle une des trois langues officielles de l’OEB. Dans les autres Etats, la description ne doit plus être traduite lorsque le brevet européen est délivré ou est traduit dans une langue de l’OEB désignée par l’Etat concerné. Une fois l’accord en vigueur, les coûts de traduction diminueront jusqu’à 50%. Huit Etats – l’Allemagne, le Danemark, le Liechtenstein, Monaco, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse – ont déjà signé l’accord à Londres ; trois autres Etats membres ont annoncé qu’ils le feraient d’ici la fin de l’année. L’accord est soumis à ratification et n’entrera en vigueur qu’une fois ratifié par huit Etats, dont les trois Etats pour lesquels l’OEB a délivré le plus de brevets européens en 1999.
Un projet de réforme particulièrement important est celui qui prévoit une nette amélioration des conditions d’ensemble pour les litiges en matière de brevets européens après leur délivrance par l’OEB. Jusqu’à présent, ce sont les tribunaux nationaux des différents Etats où le brevet européen produit ses effets qui statuent sur les contrefaçons et – abstraction faite de la procédure européenne d’opposition – la validité des brevets européens. Il n’existe pas de juridiction suprême européenne en matière de brevets. Dans biens des pays, la mise en oeuvre de la protection par brevet est une entreprise laborieuse et coûteuse, et la procédure judiciaire diffère d’un pays à l’autre. Selon le cas d’espèce, il arrive que des tribunaux différents se prononcent de façon diamétralement opposée sur la question de savoir si un brevet européen est valable et a fait l’objet d’une contrefaçon.
Les conférences intergouvernementales de Paris et de Londres ont donc posé les jalons en vue de donner compétence en matière de litiges à un nombre aussi réduit que possible de tribunaux spécialisés, et de créer, en définitive, un système juridictionnel européen intégré. Cela devrait se faire au moyen d’un accord facultatif entre les Etats membres de l’Organisation européenne des brevets, accord réglant tous les points pertinents et ayant pour objectif création d’un tribunal européen des brevets qui serait commun aux Etats, tout au moins au niveau de l’appel. Un groupe de travail est chargé d’élaborer, d’ici la fin de l’année 2001, le projet d’un tel accord, lequel pourrait être conclu lors d’une nouvelle conférence intergouvernementale devant se tenir en 2002.
b) Brevet communautaire
Compléter le système du brevet européen par un brevet communautaire valable pour les Etats membres de l’Union européenne est un objectif qui est visé depuis longtemps, mais qui n’a pas encore été atteint. Le 1er août dernier, la Commission de l’UE a fait une proposition relative à l’introduction du brevet communautaire sur la base d’un règlement. Selon cette proposition, l’OEB délivrerait des brevets communautaires sur la base de la CBE pour le territoire de la Communauté européenne et en assurera la gestion centrale conformément au règlement CE. Le règlement CE régit pour l’ensemble de la Communauté et d’une façon unitaire les effets du brevet communautaire, sa mise en oeuvre sur le plan judiciaire ainsi que son annulation.
La proposition de la Commission de l’UE reprend le principe d’un accord antérieur conclu en 1989 entre les Etats membres de l’UE, qui étaient alors au nombre de douze. Elle renferme cependant des améliorations décisives en ce qui concerne le régime linguistique et le système judiciaire, deux questions qui, jusque-là, faisaient obstacle à la réalisation du brevet communautaire. Ainsi, il est également prévu que la traduction dans les langues officielles de la Communauté d’un brevet délivré par l’OEB en allemand, en anglais ou en français ne sera plus que facultative, c’est-à-dire qu’elle ne constituera plus une condition pour que le brevet produise ses effets. Les litiges en matière de brevet communautaire ressortiraient à la compétence exclusive d’un tribunal centralisé au niveau de l’UE de première et de seconde instances, qu’il reste encore à créer.
L’instauration d’un brevet communautaire via un règlement basé sur l’article 308 du traité CE nécessite l’accord de tous les Etats membres de l’UE. Les délibérations relatives à la proposition de la Commission de l’UE viennent tout juste de commencer, et elles devraient encore durer un certain temps.
Le brevet européen et le brevet communautaire sont des éléments complémentaires du futur système du brevet européen. Comme tout autre brevet européen, le brevet communautaire sera délivré selon les dispositions de la CBE. Ce n’est qu’une fois délivré que le brevet unitaire communautaire cessera d’être soumis au droit national des Etats membres pour relever uniquement du droit communautaire en vigueur sous la forme du règlement CE. La révision imminente de la CBE n’a donc aucune incidence immédiate sur l’aménagement du brevet communautaire. C’est seulement lorsque la structure de ce dernier aura été arrêtée que les interfaces entre brevet européen et brevet communautaire pourront être fixées à l’occasion d’une nouvelle révision de la CBE. Dans ce contexte, la question se pose aussi de savoir si la Communauté européenne doit être accueillie comme membre de l’Organisation européenne des brevets.
c) Révision de la Convention sur le brevet européen
La révision de la CBE de 1973 est au centre de la réforme du système du brevet européen et de la conférence diplomatique 2000 de Munich. Elle a pour but de moderniser avec prudence le droit du brevet européen, en préservant les bases qui ont fait leurs preuves. La révision vise à assurer que les entreprises et les inventeurs européens, malgré l’évolution rapide des conditions juridiques et techniques, puissent s’appuyer sur un instrument efficace, souple et qui réponde à leurs besoins.
Dans ce but, et dans la perspective de l’élargissement prochain de l’Organisation européenne des brevets à 28 Etats, la conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Paris en juin 1999 a demandé à l’Organisation de convoquer, avant la fin de cette année, une conférence diplomatique en vue de la révision de la CBE. La proposition de base arrêtée par le Conseil d’administration et soumise pour adoption à la Conférence contient des propositions de modification touchant plus de 90 dispositions de la Convention. Elles tiennent compte non seulement des suggestions et besoins exprimés par les utilisateurs du système du brevet européen, mais également des besoins de l’Office et de l’Organisation. Si les propositions de modification ont des portées diverses, elles concernent néanmoins l’ensemble de la Convention : dispositions institutionnelles, droit des brevets, procédure devant l’OEB et ses chambres de recours, phase faisant suite à la délivrance du brevet européen. La fusion de la recherche et de l’examen en matière de brevet reçoit une base juridique afin de simplifier et d’accélérer la procédure de délivrance.
Principaux points sur lesquels porte la révision :
– Adaptation en souplesse de la CBE
Les bouleversements technologiques, la mondialisation et l’avènement de la société du savoir n’ont pas seulement entraîné une hausse brusque des besoins en protection par brevet. Ils requièrent également des mesures spécifiques pour que le système du brevet européen puisse suivre cette évolution et s’adapter rapidement lorsque le besoin s’en fait sentir. Afin de permettre une adaptation rapide de la CBE aux traités internationaux ou au droit communautaire dans le domaine du droit des brevets, le Conseil d’administration de l’OEB doit recevoir compétence pour mettre en oeuvre les changements de la CBE qui s’imposent, sans qu’il soit nécessaire de s’engager sur la voie d’une longue révision. En prévision de l’adhésion prochaine de huit Etats supplémentaires, c’est là un aspect important pour le bon fonctionnement du système du brevet européen.
– Modifications du droit des brevets
Parmi les points les plus importants, il faut citer ici les propositions de révision relatives à la protection des programmes d’ordinateurs et des substances pharmaceutiques, conformément à l’accord sur les ADPIC.
– Détermination de la portée de la protection conférée par les brevets européens
– Elargissement des actions et moyens à la disposition du demandeur
– Procédure de limitation centralisée pour les brevets européens.
Questions en suspens
Une série de questions pour lesquelles les discussions ne sont pas encore achevées ne figurent pas dans la proposition de base et ne seront pas non plus traitées par la conférence diplomatique. Il s’agit notamment de la modification de la Convention sur le brevet européen appelée par le futur brevet communautaire, de l’instauration d’un « délai de grâce en matière de nouveauté » et d’une éventuelle modification de la CBE pour ce qui concerne la protection des inventions dans le domaine des biotechnologies. Ces questions seront à nouveau abordées à l’issue de la révision en cours et éventuellement soumises à une conférence de révision ultérieure. S’agissant de la protection par brevet des inventions biotechnologiques, il convient de rappeler qu’en raison de l’intégration de la directive CE dans le règlement d’exécution de la CBE dès septembre 1999, la délivrance de brevets dans le domaine de la biotechnologie est soumise totalement aux dispositions du droit communautaire, et que ces dispositions doivent être rigoureusement observées.
Perspectives
Avec la mise en oeuvre de ses projets de réforme, dont principalement la révision de la CBE, l’Organisation européenne des brevets apporte une contribution majeure au développement du système du brevet européen, dont la réputation et les effets vont bien au-delà des frontières de l’Europe. Abaissement des coûts, unification du système juridictionnel et amélioration sensible du droit du brevet européen sont autant de facteurs qui contribuent à augmenter l’attrait et l’utilisation du brevet européen pour l’industrie européenne et les milieux intéressés dans le monde entier.
Avec l’ancrage d’une conférence intergouvernementale régulière dans la CBE, le système du brevet européen est désormais placé sous la responsabilité politique de ses Etats contractants. L’élargissement des compétences du Conseil d’administration de l’Organisation permet une adaptation rapide et souple de la Convention à un contexte changeant. La faculté de réforme du système du brevet européen est par là assurée à long terme.
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