Les sons, les odeurs et le droit des marques : d’une représentation graphique à une représentation technique


Distinguer ses produits de ceux de son concurrent par de nouveaux signes de reconnaissance est essentiel en matière de marketing, aussi, une sollicitation de l’odorat ou de l’ouïe peut devenir un formidable procédé d’attraction et de fidélisation.

Une marque consiste en un signe distinctif, susceptible de représentation graphique, or, de par leur invisibilité, il semble difficile de représenter une odeur ou un son.

Aucun texte législatif ne prévoit l’enregistrement d’une marque olfactive et le traité sur le droit des marques de l’OMPI du 27 octobre 1994 exclut les marques sonores.

La Chambre de recours de l’OHMI a toutefois validé, le 11 février 1999 (1), la marque olfactive : « Odeur de l’herbe fraîchement coupée » pour désigner des balles de tennis car elle « est une odeur distincte que tout le monde reconnaît immédiatement sur la base de ses propres souvenirs ».

La Cour de Justice des Communautés Européenne (CJCE) a tranché, dans deux arrêts des 12 décembre 2002 (2) et du 27 novembre 2003 (3), les sorts des marques olfactives et sonores.

La CJCE a été saisie au travers de deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques qui énonce que peuvent constituer des marques, « tous les signes susceptibles d’une représentation graphique notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ».

Un signe, non susceptible d’être perçu visuellement, constituant en l’espèce une marque olfactive allemande décrite par une formule chimique et complétée par l’indication « balsamique fruitée avec une légère note de cannelle », est-il susceptible de constituer une marque et, dans l’affirmative, sa représentation graphique peut-elle consister en une formule chimique, une description, le dépôt d’un échantillon ou l’ensemble de ces trois représentations ?

Pour la CJCE, un message olfactif peut constituer une marque à condition qu’il soit susceptible d’une représentation graphique « en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle même, facilement accessible, durable et objective », par conséquent en l’espèce, « les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments ».

Ainsi, si les odeurs doivent être immédiatement identifiables telles celles « de l’herbe fraîchement coupée » ou du café pour constituer une marque, il est probable que les professionnels des senteurs continueront à recourir à l’action en concurrence déloyale ou parasitaire pour protéger leurs parfums.

Alors que la France admet, depuis la loi du 4 janvier 1991, à l’instar d’autres pays européens, l’enregistrement comme marque, de sons ou de phrases musicales, susceptibles de représentation graphique et conférant à la marque son caractère distinctif (cf. art. L.711.1.b du Code de la Propriété Intellectuelle), la CJCE a dû préciser si les sons non énumérés dans la liste des signes figurant à l’article 2 de la même Directive de 1988, soit notamment en l’espèce les premières notes des « Lettres à Elise » de Beethoven et une onomatopée imitant « le chant d’un coq », pouvaient constituer des marques et, dans l’affirmative indiquer leurs modalités de dépôt.

La CJCE a confirmé que la liste de l’article 2 de la Directive n’était pas exhaustive et que les sons pouvaient donc constituer des marques « s’ils ont un caractère suffisamment distinctif et s’ils sont susceptibles d’une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ».

Si l’énumération d’une succession de notes de musique ou des mentions telles :« les 9 premières notes des Lettres à Elise » ou « le chant d’un coq » ou encore « cocorico » manquent de précision, un thème musical représenté dans une partition « au moyen d’une portée divisée en mesures et sur laquelle figurent, notamment une clé, des notes de musique et des silences dont la forme indique la valeur relative et, le cas échéant des altérations » répond aux exigences de la Directive et peut être enregistré comme marque.

De même, une onomatopée pourra être enregistrée à titre de marque si elle est accompagnée d’une représentation sur un sonagramme, dans un langage de physique acoustique, complétée par une expression suggestive du type « le bruit du vent dans les arbres ».

Une représentation graphique « technique » du signe est donc nécessaire à l’enregistrement d’une marque olfactive ou sonore.

(1) OHMI 2ème chambre de recours 11 février 1999 aff. R-156/1998.2

(2) CJCE 12 Décembre 2002 aff. C-273.00 Sieckmann

(3) Arrêt CJCE 27/11/2003 6ème ch. Affaire C-283-01

Auteur : Odile GARLIN-FERRARD

E-mail : odile.ferrard@numericable.fr


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