Le Parlement Européen refuse les rentes sur l’économie numérique


L’ADULLACT et L’AFUL saluent le travail et la décision du Parlement Européen qui vient de rejeter en deuxième lecture le projet de directive sur la brevetabilité du logiciel par une écrasante majorité de 648 voix sur 680. C’est historiquement la première fois qu’une directive est rejetée à ce stade du processus législatif.

Ce projet de directive, concocté par la Commission Européenne avec l’assistance de diverses sociétés multinationales, prétendait être « basé sur la pratique existante », c’est-à-dire la pratique actuelle de l’Office Européen des Brevets (OEB), qui accorde couramment des brevets sur de purs programmes, en contradiction avec la Convention Européenne du Brevet (CEB) qu’elle est censée faire respecter.

Sous couvert de ne rien changer, de maintenir un statu quo, il s’agissait en fait de légaliser une pratique illégale, qui a déjà donné lieu à l’octroi de près de 30 000 brevets. Ces brevets actuellement sans grande valeur devant les tribunaux seraient devenus dès lors opposables à des milliers de PME européennes et à tous les développeurs et utilisateurs de logiciels libres, les laissant à la merci d’attaques en contrefaçon, souvent sur des questions triviales.

Cette affaire fut confiée à la Direction du Marché Intérieur de la Commission Européenne sous pretexte d’un besoin d’harmonisation, besoin totalement fictif car les pays membres étaient tous signataires de la CEB. Les différences nationales n’étaient dues qu’à l’incertitude des tribunaux devant le comportement illégal de l’OEB. La Direction du Marché Intérieur a parfaitement joué son rôle d’exécuteur des basses œuvres, en ignorant l’opposition de la plupart des acteurs économiques – notamment les PME et les utilisateurs de logiciels libres – comme celle des économistes, des scientifiques et des techniciens du domaine. Elle a aussi écarté les craintes et l’opposition des autres directions de la Commission, dont celles de la Société de l’Information, des Entreprises et de la Concurrence. Elle a ignoré toutes les études économiques, dont celle qu’elle avait elle-même sollicitée et qui était revenue négative.

Comme le disait le Professeur Hugh Brett, éditeur de la European Intellectual Property Review, « curieusement, la Commission semble à peine prêter attention au rapport qu’elle a sollicité […] qui conclut – peut-être sans surprise – que les PME ne sont généralement pas favorable à l’extension de la brevetabilité ».

Nous regrettons que l’actuel gouvernement français se soit laissé entraîner dans cette mascarade par la direction de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle qui, encore le 5 juillet 2005, lui faisait prétendre que la directive permettait de « ne pas ouvrir la porte au  » brevet logiciel  » tel qu’il s’est développé aux États-Unis », alors même que la France s’était opposée en Conseil des Ministres de l’Union aux amendements en première lecture du Parlement Européen, amendements qui seuls étaient susceptibles d’empêcher une telle dérive.

Sur le plan politique, cette affaire aura montré l’importance du rôle des parlements, quand ils en ont un, car ils sont plus difficiles à circonvenir que les exécutifs. En renforçant le Parlement Européen, elle contribue à cette union des hommes qui est le fondement du développement des ressources libres. On ne peut cependant que regretter l’absence totale de concertation, de recherche du compromis et de l’intérêt commun, tant de la part des exécutifs européens (Commission et Conseil des ministres) que de celle des promoteurs de la brevetabilité du logiciel.

La fin brutale de ce projet de directive donne un éclairage particulier aux motivations des multinationales pro-brevets et de l’association « European Information and Communication Technologies Association » (EICTA) qui les a fortement défendu. Compte tenu de leurs soutiens politiques au niveau des exécutifs pour les procédures ultérieures, ils n’étaient réellement menacés que par un seul amendement qui aurait imposé un droit à l’interopérabilité, limitant le contrôle massif des marchés par les monopoles et les cartels. Que cette seule menace ait suffi à ce qu’ils souhaitent que leurs défenseurs au Parlement Européen abandonnent la directive indique, on ne peut plus clairement, qu’ils étaient plus motivés par le contrôle complet de rentes sur l’économie numérique que par l’encouragement à l’innovation.

Au delà de la défaite d’une directive européenne, ce sont les pratiques abusives de l’OEB dont elle se réclamait qui ont été désavouées par les parlementaires. Les dérives de cet organisme international au bénéfice d’intérêts privés posent donc la question de sa légitimité et exigent à tout le moins une reprise de contrôle comme l’avait déjà affirmé la conférence diplomatique de novembre 2000.

Il est clair au regard des enjeux que cette bataille repartira sur un autre front, en évitant le contrôle démocratique. L’ADULLACT et l’AFUL resteront vigilantes. Mais, au moins pour un temps, on ne peut ignorer brutalement le choix des représentants du peuple et le temps gagné ne peut que jouer en faveur de ceux qui ont la réalité économique de leur coté :

  • le logiciel libre va pouvoir continuer à faire la preuve de son efficacité technique et économique face à l’édition logicielle de masse ;
  • l’emprise croissante de la propriété intellectuelle sur les libertés individuelles ne peut que susciter des réactions allergiques et une plus grande sensibilisation à ces problèmes ;
  • la défaite européenne du brevet logiciel sera un argument et un encouragement pour ceux qui défendent leur liberté dans d’autres parties de la planète ;
  • les demandeurs de brevets logiciels ne pourront plus cacher longtemps que leur objectif est de préserver leur contrôle de l’économie tout en délocalisant la R&D et la production.

Les brevets logiciels auraient placé sous la coupe des grands éditeurs les programmes de développement conduits par les pouvoirs publics dans le cadre de la modernisation de l’administration. Ce danger pour le caractère ouvert et concurrentiel des marchés publics et pour la maîtrise politique des infrastructures informationnelles de la société a été heureusement écarté. L’ADULLACT et l’AFUL s’en félicitent.

L’ADULLACT et l’AFUL tiennent à remercier chaleureusement tous ceux – parlementaires, entreprises, universitaires, associations et simples citoyens – qui se sont dépensés sans compter pour préserver la liberté de programmer, pour que nos PME des nouvelles technologies ne soient pas autant de gibier pour les carnassiers de la propriété intellectuelle et pour maintenir un espace où ce bien commun et nouveau modèle économique qu’est le logiciel libre puisse continuer de prospérer, de faire la preuve de son utilité pour tous et préserve l’innovation et la création.

Source : www.toolinux.com


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