Le 22 octobre 2008, Madame Brimelow, Présidente de l’Office Européen des Brevets (OEB) avait saisi la Grande Chambre de Recours de plusieurs questions portant sur la brevetabilité des logiciels, tant sur les questions de forme que sur les questions de fond. Les nombreux mémoires (102 exactement) adressés à l’OEB par tous les acteurs concernés (industriels, organisations professionnelles, défenseurs du logiciel libre, …) témoignent certainement de l’intérêt de la question souvent renouvelée de l’appréhension des programmes d’ordinateurs par le droit des brevets. La juridiction a rendu un avis intéressant. Selon elle, la saisine du 22 octobre 2008 portant sur plusieurs questions relatives à la brevetabilité des logiciels est irrecevable.
Cet organe considère en effet, après avoir reconnu l’importance du sujet, que les décisions fondamentales en la matière ne présentent pas le caractère « divergent » nécessaire à la recevabilité de ladite saisine. Cependant, même s’il n’apporte pas de réponse directe aux questions posées, cet avis présente l’intérêt de fixer clairement la jurisprudence d’une part sur l’exclusion des programmes d’ordinateurs et d’autre part sur l’appréciation de la nouveauté et l’activité inventive de ces programmes. Il apporte aussi des précisions quant à la forme des revendications.
On rappelle de façon liminaire que selon le paragraphe 1 de l’article 52 de la CBE, des brevets européens sont délivrés pour toute invention, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive, et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. Cependant, le second paragraphe de cet article contient une liste d’objets qui ne sont pas considérés comme des inventions au sens du premier paragraphe.
La vérification du premier critère visant à déterminer si l’objet revendiqué est une invention au sens cité précédemment ou s’il fait partie des exclusions est un prérequis pour l’examen des critères de brevetabilité.
Sur l’exclusion des programmes d’ordinateurs
Une décision IBM de 1997 (sous la référence T1173/97) reste fondamentale sur deux aspects. En premier lieu, les logiciels doivent être considérés brevetables, dès lors qu’ils présentent un caractère technique, à savoir un effet supplémentaire, allant au-delà du simple effet résultant des interactions physiques normales entre le logiciel et l’ordinateur, ces interactions étant induites par l’exécution des instructions du logiciel (génération de courants électriques par exemple).
L’autre aspect est relatif à la « contribution approach » appliquée dans certaines jurisprudences des Chambres de Recours de l’OEB. Il était considéré que seules étaient brevetables les inventions apportant une contribution à l’état de la technique dans un domaine non exclu de la brevetabilité. Il est fondamental de retenir que cette décision IBM rejette cette approche, considérant qu’il n’est pas approprié de comparer l’objet revendiqué avec l’état de la technique pour déterminer si cet objet est une invention au sens du paragraphe 1 de l’article 52. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que l’effet technique supplémentaire pris en compte pour déterminer si un logiciel entre ou non dans la catégorie des inventions soit nouveau.
Une décision « Hitachi » de 2003 pose, quant à elle, le principe selon lequel une revendication mettant en œuvre des moyens techniques ne doit pas être exclue de la brevetabilité. Selon elle, une méthode impliquant l’utilisation de moyens techniques échappe donc à ces exclusions. Il n’en reste pas moins que pour être brevetable, une telle méthode doit être nouvelle, constituer une solution technique non évidente et être susceptible d’application industrielle.
Sur l’appréciation de la nouveauté et de l’activité inventive
Il est de jurisprudence constante qu’une invention, pour être brevetable, doit satisfaire aux conditions de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle, mais aussi présenter un caractère technique, condition implicitement requise par la notion même « d’invention ».
Selon une décision « Duns » de 2004, l’examen de la nouveauté et de l’activité inventive ne doit se baser que sur les seules caractéristiques techniques de la revendication. Les autres caractéristiques sont ignorées. On rappelle que dans le cadre de l’approche problème solution appliquée pour l’appréciation de l’activité inventive, le problème résolu par l’invention doit être de nature technique (décision « Comvik » de 2000). Ce problème peut cependant être formulé comme un but à atteindre dans un domaine non technique.
La mise en œuvre d’une méthode non technique par des équipements matériels (ordinateur, réseau, …) est considérée non inventive car relevant des connaissances de l’homme du métier.
Sur la forme des revendications
La saisine soulevait, notamment, une question sur la forme des revendications relatives aux inventions mises en œuvre par ordinateur. Plus précisément, la saisine fait état d’une différence selon laquelle : revendiquer le logiciel pour lui-même ou sur un support matériel devrait être, selon une décision IBM de 1997 (T1173/97), sans importance au vu de l’exclusion de la brevetabilité. Cependant, selon une décision Microsoft de 2003, seule une revendication de la forme « Programme d’ordinateur pour la mise en œuvre d’une méthode x » pouvait être exclue de la brevetabilité ; Mais en tout état de cause que : l’objet d’une revendication de la forme « Méthode x mise en œuvre par un ordinateur » ou de la forme « Produit programme d’ordinateur mémorisant un code exécutable pour la mise en œuvre de la méthode x » ne pouvait en être exclue, quelle que soit la nature de la méthode x.
Selon l’avis de la Grande Chambre de Recours, cette différence ne constitue pas une « divergence » et la saisine est irrecevable sur ce point. La Grande Chambre poursuit en relevant que la position exprimée dans la décision IBM (cité précédemment) est isolée, alors que celle de la décision Microsoft, ultérieure qui plus est, a été reprise dans de nombreuses décisions.
Conclusion
In fine, nous retiendrons qu’une revendication échappe aux exclusions des paragraphes 2 et 3 de l’article 52 de la CBE dès lors qu’elle met en œuvre des caractéristiques techniques. La revendication étant appréciée dans son ensemble, sans prendre en compte l’état de la technique, il est relativement aisé d’échapper à cette exclusion. Cette première détermination ayant été effectuée, l’examen de la nouveauté et de l’activité inventive est réalisé, sur la base des seules caractéristiques techniques de la revendication, selon l’approche problème-solution définie par les directives relatives à l’examen pratiqué à l’OEB.
Dans le cas d’une invention mise en œuvre par ordinateur, les caractéristiques produisant un effet supplémentaire, allant au-delà des interactions physiques normales entre le logiciel et l’ordinateur seront prises en compte. Il peut donc être retenu que l’examen pratiqué par l’Office Européen des Brevets pour les inventions portant sur des logiciels ne diffère pas fondamentalement de l’examen pratiqué pour les autres types d’inventions.
Auteur : François Delumeau est conseil en propriété industrielle et mandataire en brevets européens. Il est ingénieur en informatique, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Informatique pour l’Industrie et l’Entreprise (1991). Il possède une expérience industrielle d’une dizaine d’années de recherche et développement dans le domaine de l’informatique embarquée dans des produits de télécommunication. Il se consacre à la Propriété Industrielle depuis 2000 et a intégré le Cabinet Beau de Loménie en 2003. Ses spécialités techniques sont l’informatique (architecture des ordinateurs, algorithmique, théorie des langages, génie logiciel, systèmes d’exploitation, …), les systèmes et réseaux de télécommunication.
Source : blog3.lemondeinformatique.fr
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