Grandeurs et servitudes du système américain des brevets


Nos lecteurs l’ont remarqué, nous avons depuis le début d’année mis de côté le sujet de la réforme des brevets pour nous intéresser aux conséquences de la situation sur les inventeurs et les grands secteurs d’activité porteurs d’innovations. A force de suivre le processus parlementaire, on avait en effet oublié que ce n’est pas seulement le système américain des brevets qui était en cause mais également le bureau fédéral des brevets et des marques (USPTO).

Celui-ci applique une législation obsolète tout en faisant face à des dysfonctionnements graves, liés à la pénurie de moyens que lui imposent les parlementaires. Fin 2010, le temps moyen d’obtention d’un brevet était proche des 3 ans (35,3 mois exactement). Cette durée, qui est en forte et constante progression depuis 2008, ne concerne que les demandes qui aboutissent ou qui sont abandonnées par les déposants. Elle exclut donc les dossiers qui font l’objet de contestations et/ou de rejets réclamant des allers et retours entre l’USPTO et le demandeur. Autre préoccupation majeure : le retard dans l’examen des demandes. Le nombre de dossiers en instance se monte désormais à 1,22 million.

La conséquence de cette situation est que, globalement, le système américain des brevets n’est plus aussi attractif qu’il ne l’était, et pas uniquement en raison de l’incurie de l’USPTO. Dans la presse spécialisée et parmi les inventeurs ou entrepreneurs américains s’est en effet installée la conviction que cette baisse d’intérêt coïncide avec la montée en puissance du géant chinois qui constitue son propre système de protection de la PI et qui enregistre une très forte progression des dépôts de brevets. Pour d’autres, la Chine se livre à des activités d’intelligence technologique et économique grâce aux données des demandes de dépôts en instance d’examen à l’USPTO. Selon une étude britannique, le manque à gagner annuel des États-Unis en « innovations perdues » atteindrait 6,4 milliards de dollars.

Il fallait s’y attendre, après la relocalisation d’activités manufacturières (années 1990), puis l’installation de centre de production de connaissances par les grands donneurs d’ordre mondiaux (années 2000), il convient peut-être maintenant d’anticiper que la Chine capitalise sur sa PI et incite ses géants nationaux à s’orienter vers des activités à très haute valeur ajoutée (années 2010 ?). Ce scénario gagne en crédibilité lorsque l’on observe également l’accroissement des dépenses de R&D des grands groupes industriels occidentaux en Chine et une stabilisation, voire une baisse, dans leurs activités de recherche dans leurs pays d’origine, le tout dans le contexte d’une croissance chinoise supérieure à 10% (moins de 3% aux États-Unis). Le cas de la pharmacie américaine est une assez bonne illustration de ce phénomène.

C’est de ces questions que nous voulions débattre avec David Kappos, le sous-secrétaire chargé du commerce et des questions de propriété intellectuelle et, accessoirement, le directeur de l’USPTO. Rendez-vous était pris vendredi 24 juin à 11h30. Nous avions transmis à son cabinet une liste de questions.

Las ! Peu avant 9h du matin, le rédacteur de cet article apprend que l’entrevue est repoussée sine die. Les questions de la MS&T ont-elles à ce point indisposé M. David Kappos ? Non, cela ne semble pas être la raison, même si l’intéressé avait catégoriquement rejeté celle portant sur l’affaire Bilski.

Le désistement est en fait lié à une nouvelle assez inattendue. Le projet de loi « Leahy-Smith America Act » (H.R. 1249) venait de passer à la Chambre des représentants après 6 années de discussions quasi-ininterrompues entre les parties prenantes et dix ans de travaux parlementaires, sans parler du fait que la réforme des brevets a été lancé par… l’Administration Lyndon Johnson au début des années 60 ! Selon les experts, cette loi est la plus importante réforme portant sur la PI américaine depuis plus de 50 ans. Personne ne s’y attendait d’autant que les dernières longueurs ont été parsemées d’embûches par les détracteurs du projet. L’obstacle qui a failli faire capoter le texte concerne les revenus procurés à l’USPTO par les redevances que versent les déposants.

La question n’est pas négligeable car l’USPTO ne coûte rien au contribuable en plus d’être soumis pieds et poings liés au bon vouloir parlementaire pour ce qui est de ses dépenses. En effet, l’USPTO est entièrement financé par les redevances sur les brevets. Mais lorsqu’il perçoit des excédents, il doit les reverser au Congrès, ce qui empêche l’USPTO d’ajuster ses moyens à la demande de brevets. Le résultat, on le connaît : au cours des dernières années, 800 millions ont été repris à l’USPTO l’empêchant de recruter des experts pour faire face à l’afflux de demandes et au retard dans leur traitement.

Sans doute de guerre lasse, et sous la forte pression de l’exécutif (le président Obama est personnellement intervenu le 21 juin), les parlementaires ont finalement trouvé un compromis entre les tenants d’un système verrouillé par la Chambre (surtout des républicains) et les promoteurs d’une agence qui a les moyens de sa politique : un fonds spécial a été créé où les excédents seront versés. L’USPTO ne pourra en faire usage qu’après avis du parlement, c’est-à-dire la commission des « appropriations » qui valide et effectue les dépenses autorisées dans le cadre des lois.

Mais cette ultime disposition s’est faite dans la douleur, l’urgence et la contrainte. Les groupes de pression comme la « coalition for the 21st century patent reform » (industries pharmaceutiques et manufacturières, très favorables aux limitations des moyens de l’USPTO) et l’ « alliance innovation » (entreprises technologiques, tout à fait contre) ont donné de la voix jusqu’à la dernière minute.

L’approbation de la loi par la Chambre, après celle du Sénat en mars 2011, devrait permettre sa signature par le Président puis sa mise en application prochaine. Avant cela, le sénateur indépendant Leahy (Vermont), promoteur de cette loi, devra s’accorder avec son homologue du Sénat pour arriver à un texte conjoint incluant les dispositions sur les redevances que le Sénat n’avait pas intégrées. Nous ne pouvons pas imaginer que ces différences ne soient pas exploitées par les différents groupes de pression.

Une étape s’achève-t-elle ? Une ère nouvelle s’ouvre-t-elle ? Dans tous les cas la législation américaine est désormais appelée à se rapprocher de celle appliquée en Europe même si c’est le souci d’attractivité du système américain des brevets, une constante depuis le milieu du XIXème siècle, qui a guidé la loi. L’idée reste bien de faire en sorte que les inventeurs étrangers aient intérêt à déposer et exploiter leur invention aux États-Unis et que ces derniers continuent d’attirer des investisseurs et des inventeurs de partout dans le monde. Dès qu’elle entrera en application, la nouvelle loi devrait cependant corriger un fonctionnement pernicieux qui tournait autour de trois aspects :

– la possibilité aux États-Unis de publier des brevets étendus [1],

– la possibilité d’obtenir des injonctions et d’engager des poursuites qui peuvent se révéler dispendieuses pour les contrevenants et

– la quasi-impossibilité d’introduire des recours auprès de l’USPTO.

Au total, les événements prennent donc un tour positif. C’est un peu le sens de la déclaration officielle de David Kappos vendredi 24 juin matin qui indique son « espoir de voir le passage final de cette importante législation puis son application ». Comme s’il subsistait un doute…que l’affaire ne fût pas tout à fait terminée !

A suivre.

[1] « Issuance of broad Patents ».

Source : www.bulletins-electroniques.com


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