Le Bureau des brevets et des marques va-t-il enfin pouvoir reprendre la main ?
Dans nos livraisons, nous parlons régulièrement du bureau fédéral des brevets et des marques, l’USPTO. Nous suivons également avec attention les développements de la réforme des brevets américains que le Sénat s’apprête à voter après des années de débats parlementaires. Cet intérêt est guidé par le fait que l’USPTO constitue un point obligé de l’innovation aux Etats-Unis : pour protéger une innovation aux E.-U., une technologie ou une invention, d’où qu’elle vienne, l’USPTO est une institution incontournable mettant en oeuvre la législation américaine.
Dans l’objectif d’en savoir plus sur son institution, nous avons approché Albert Tramposch qui est chargé des questions de politique et des affaires extérieures de l’USPTO. En fait M. Tramposch est avant tout un conseiller du sous-secrétaire d’état au commerce chargé des questions de la propriété intellectuelle (PI). A ce titre, M. Tramposch supervise l’administration de l’USPTO ainsi que l’ensemble des opérations nationales et internationales liées à la PI. Il suit également le travail législatif au Congrès ainsi que plusieurs autres programmes.
Préalablement, M. Tramposch était directeur adjoint de l’Association américaine du droit de la PI (AIPLA), une association composée de 16.000 praticiens spécialisés. M. Tramposch a également servi comme directeur adjoint de la PI à l’organisation mondiale de la PI (WIPO/OMPI) à Genève où il a notamment piloté en 2000 les discussions de la conférence diplomatique pour l’adoption d’un traité international sur la PI.
M. Tramposch appartient à l’Ordre des avocats des Etats-Unis, spécialisé dans les questions de brevets. Il est impliqué dans des activités académiques (George Mason University School of Law et John Marshall Law School) ainsi qu’à la Cour d’appel fédérale des circuits (U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit). Plus récemment, il a été consulté par la Présidence de l’UE, en particulier sur les questions de PI. M. Tramposch est docteur en médecine et docteur en droit, diplômé des universités Johns Hopkins (Baltimore) et de Washington à Seattle.
Dans cette entrevue, M. Tramposch nous livre sa vision du fonctionnement de l’USPTO ainsi que ses évolutions. Nous abordons également l’impact de la nouvelle législation sur les brevets que l’Agence sera chargée de mettre en oeuvre. Les positions apaisantes de M. Tramposch sur la situation de l’USPTO tranchent avec les débats qui ont lieu dans les communautés d’entrepreneurs américains et dans les cercles de réflexion sur l’innovation, comme l’ITIF. L’USPTO, et au-delà, le législateur, cristallisent les critiques depuis que la réforme des brevets a été lancée dans les années 60 et que le Parlement américain reprend à l’Agence les moyens qu’elle a elle-même collectés auprès des déposants. Le résultat, on le connaît, l’USPTO n’a plus les moyens matériels de résorber les 1,2 million de demandes pendantes et le délai de traitement pour l’obtention d’un brevet approche les 4 ans. Les critiques les plus virulentes viennent de ceux qui associent l’incurie des parlementaires et de l’USPTO à la perte de leadership technologique américaine et au déplacement de l’innovation des Etats-Unis vers les pays émergents. Les chiffres les plus conservatoires parlent d’une perte sèche de 6,4 milliards de dollars pour les E.-U.. Autre reproche : le retard de traitement des demandes de brevets par l’USPTO alimenterait un gigantesque travail d’intelligence économique et technologique au profit des pays concurrents des Etats-Unis.
L’USPTO et sa stratégie
MS&T : Quel est la mission de l’USPTO ? Et, comment est-elle mise en oeuvre ?
A.T : L’USPTO est un organisme qui est chargé d’émettre les brevets et marques ainsi que les dessins et modèles qui sont l’équivalent en France des brevets industriels. Nous avons le même rôle que l’Office Européen des Brevets (OEB).
Nos objectifs stratégiques sont de :
– Améliorer la qualité des brevets ;
– Optimiser la qualité des marques ;
– Assurer la gestion nationale et mondiale des brevets et appliquer une meilleure politique de protection et d’application ;
– Améliorer l’organisation de l’USPTO afin d’obtenir une gestion efficace qui permettra d’améliorer la qualité de notre mission.
MS&T : Quel est maintenant la priorité de l’USPTO ?
A.T : Notre plus gros chantier actuel est la réforme des brevets. Nous voyons enfin le but du tunnel de ce long processus et nous espérons que la loi passera d’ici peu.
La réforme aura un effet important sur le fonctionnement de l’USPTO : elle nous permettra de couvrir les coûts des services fournis, de garder et d’utiliser les droits perçus par l’USPTO. Nous serons, de plus, capables de mettre nos ressources là où elles seront les plus utiles pour les usagers. Nous serons aussi en mesure d’augmenter notre capacité d’évaluation des demandes en temps et en heure et enfin de diminuer le stock de brevets en instance.
Les répercussions de la réforme sur notre Bureau comportent la nécessité de traduire opérationnellement le changement de législation : désormais, le droit n’est plus au « premier inventeur » mais au « premier déposant ». Ce système est plus simple et plus efficace en termes de coûts de base d’acquisition des droits. Une autre modification est à introduire en interne : il s’agit du nouveau processus d’examen après la délivrance du brevet. Nous comptons embaucher 100 nouveaux juges administratifs pour mettre en application cette disposition de la nouvelle loi. Cela doublera leur nombre actuel. La réforme amènera également l’USPTO à mettre au point un processus d’opposition après la délivrance du brevet, un système qui n’existe pas actuellement.
La reforme des brevets au secours des entrepreneurs et des PME/PMI
Nous publions la seconde et avant-dernière partie de cette entrevue alors qu’est intervenue jeudi 8 sept. 2011 l’approbation par le Sénat de la loi sur les brevets (« America Invents Act »). Elle avait été votée par la Chambre des représentants en juin. Le président Obama, qui doit prochainement promulguer la nouvelle loi, a immédiatement déclaré que « c’était ce type d’action dont nous avons besoin ». Au total, le projet de loi aura monopolisé le Congrès et ses parlementaires pendant près de six ans. Pas de chance néanmoins pour cette loi, présentée comme « un modèle » de l’action bipartisane par les milieux d’affaires américains : son approbation a exactement coïncidé avec l’annonce par le Président Obama de son grand programme en faveur de l’emploi, faisant du même coup passer « America Invents Act » à l’arrière plan médiatique. La loi sur les brevets aurait sans doute mérité un meilleur sort car c’est l’aboutissement d’un travail qui a débuté il y a près de 60 ans !
A l’époque, la situation de l’USPTO était moins empreinte d’urgence qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est de cette situation dont il est question dans cette seconde partie d’entrevue avec A. Tramposch. Il nous explique en particulier la nature des difficultés de l’USPTO et ce que la réforme va changer pour les parties prenantes du système américain des brevets.
L’USPTO dans la controverse
MS&T : Le temps moyen de traitement des dossiers atteint désormais 3,7 ans et ne cesse d’augmenter en raison du retard accumulé par l’USPTO (1,2 millions de demandes). On dit que cela fait perdre des milliards de dollars à l’économie américaine. La levée de fonds devient également plus ardue pour des start-ups innovantes.
Comment expliquez-vous cette situation ? Quelles sont les mesures qui sont prises pour y remédier ?
A.T : Personne n’est aussi inquiet que nous de la situation. Notre objectif premier est bien de faire en sorte que la qualité et le respect des délais soient améliorés. Et les retards enregistrés concernent ces deux questions. Car, si un brevet n’est pas approuvé dans les temps, il a une moindre valeur pour son déposant. Vous avez raison, le chiffre de 1,2 million de brevets en cours d’examen est exact. Cependant, dans la pratique, nous mettons l’accent sur les demandes qui n’ont pas encore été examinées et dont le nombre atteint 700.000. Une fois que la demande d’un déposant a été examinée, celui-ci a à sa disposition de nombreux mécanismes qui prolongent la procédure, ce qui aboutit à une situation où l’USPTO n’a plus totalement la maîtrise du déroulement.
En revanche, ce qui est de notre ressort, c’est le temps qui court jusqu’au premier examen de la demande. Actuellement 700.000 brevets sont dans cette situation.
Notre ancien Secrétaire au commerce nous a fixé l’objectif de 10 mois pour le traitement d’un premier examen alors que nous sommes actuellement à 30. Au cours des 10-20 dernières années, le problème du retard accumulé dans le traitement des dossiers a été lié à une question de charge de travail. La manière d’aborder le problème réside dans le nombre disponible d’examinateurs compétents et talentueux. Et cela exige des ressources. Or, au cours des 20 dernières années, l’USPTO n’a pu faire usage des redevances qu’elle percevait. Elle oeuvrait alors que ses ressources étaient distraites, ce qui rendait l’USPTO sous-dotée. Le Congrès ne lui rétrocédait pas les redevances que nous percevions.
MS&T : Les brevets sont les seuls actifs valorisables par les jeunes entreprises technologiques et sont aussi vitaux à leur pérennité. Comme l’avait souligné le président B. Obama lors de son discours de mi-mandat, elles sont sources d’innovation et d’emplois. On voit aussi apparaître une nouvelle stratégie de la part des grandes entreprises pour tirer avantage de la situation actuelle, ce que l’on appelle l’efficient infringement.
Qu’allez-vous proposer aux start-ups pour les aider à obtenir plus rapidement leurs brevets et faire face à la concurrence des grandes entreprises nationales et des entreprises étrangères ?
A.T : A l’USPTO, un fort accent est mis sur les PME-PMI. Nous leur offrons une réduction de 50% des redevances et nous pensons que la réforme des brevets va dans leur sens. L’une des raison qui motive le passage d’un principe du premier inventeur à celui du premier déposant est que le système qui a prévalu jusqu’à présent était dispendieux. Pour une société qui dépose en deuxième alors qu’elle est le premier inventeur, ce sont des coûts compris entre 500.000 et un million de dollars pour démontrer son antériorité. Ces entreprises en arrivent parfois à perdre des brevets alors qu’elles en avaient la propriété. De plus sur les 6-7 dernières années et les 3 millions de demandes déposées, nous n’avons constaté qu’un seul cas où le véritable inventeur qui a été le second à déposer s’est vu accorder un brevet en raison de sa situation de premier inventeur.
Ces procédures coûteuses se font au détriment des petites entités. Le principe du droit du premier déposant est bien plus sûr et certain : une fois la demande déposée, les demandeurs n’ont plus à s’inquiéter des grandes sociétés qui ont déposé avant et qui sont susceptibles de les déposséder de leur brevet. Les procédures de révision intervenant après l’obtention du brevet (« post grant procedures »), qui sont moins onéreuses que les contentieux juridiques, sont en faveur des PMI-PME. Ce qui est important sur cette question, c’est de faire connaître ces nouvelles dispositions auprès des entités concernées afin qu’elles comprennent bien et sachent faire la meilleure utilisation des procédures au niveau national et international.
La réforme du système de brevets
MS&T : De nombreuses voix s’élèvent à l’encontre du projet de réforme du système des brevets, particulièrement celles des praticiens du transfert de technologie. Les divergences portent sur 3 aspects de la réforme : la suppression du délai de grâce, la prise en compte du premier déposant comme inventeur et le plafonnement des dédommagements.
Que répondez-vous à vos contradicteurs ?
A.T : De façon préliminaire, j’aimerais dire que le projet de réforme tel qu’il se présente fait l’objet d’un soutien de la communauté académique mais aussi de critiques.
Concernant l’élimination du délai de grâce, nous croyons qu’il y a une erreur de lecture des intentions du législateur. Sans doute, le libellé de la nouvelle législation est-il un peu malheureux en ce qui concerne les définitions du « délai de grâce » (« grace period ») et de l’antériorité (« prior art »). On est amené à penser que le délai est éliminé (comme dans le cas de la divulgation d’informations destinées à des sociétés de capital risque), ce qui est inexact. Le nouveau système sera plus favorable aux PMI-PME sur plusieurs points (…).
Pour ce qui est de la reconnaissance du premier déposant en tant qu’inventeur, nous avons insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un système reposant sur le premier déposant mais d’un système qui s’appuie sur le premier inventeur. Les deux systèmes (i.e. premier déposant vs premier inventeur) ne s’opposent que dans la situation où deux véritables inventeurs indépendants d’une même technologie doivent décider qui obtiendra le brevet. Dans le système actuel la notion du premier inventeur se révèle coûteuse en argent et en temps.
Désormais, dans la situation où deux véritables inventeurs indépendants d’une même technologie revendiquent un brevet, c’est le premier qui déposera la demande auprès de l’USPTO qui aura la priorité. Certains considèrent que le nouveau système est préjudiciable aux PMI-PME mais ce n’est pas notre point de vue. Le système actuel fournissait une sécurité en trompe-l’œil car les entreprises pouvaient penser qu’elles avaient le temps avant de déposer. Mais elles ne comprenaient pas qu’elles devaient parfois dépenser un million pour prouver l’antériorité de leur invention. Au final, elles pouvaient même perdre le bénéfice de leur brevet parce qu’elles n’avaient pas déposé. Ce système est plus proche de ceux adoptés à l’étranger.
Source : www.bulletins-electroniques.com
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