Behnam Ahmadi, un Afghan en route vers l’Allemagne, pose à son arrivée sur l’île grecque de Lesbos, le 10 septembre 2015
SKALA SIKAMINIAS (Grèce) – Son pantalon n’a pas encore eu le temps de sécher sur la plage grecque où il vient de débarquer, que Behnam Ahmadi est déjà en train d’échafauder les moyens de payer son dû à l’Europe si elle lui permet de rester.
Il a la même allure que tous ces jeunes Afghans de vingt ans tout au plus, qui parient sur une nouvelle vie dans l’Union européenne, et, vêtu d’un jean et d’un T-shirt, il porte toute sa vie dans son sac à dos.
Mais le jeune homme, dont le voyage vers l’Allemagne avec des amis ne fait que commencer sur cette plage de Lesbos, île grecque en face des côtes turques, sort du lot.Il y a d’abord son amour quasi-obsessionnel pour les langues étrangères.
Il surprend son interlocuteur, enchaînant à toute vitesse l’anglais, le français ou l’allemand, dans un langage riche et comme récité.
Il y a aussi la hauteur à laquelle il place sa barre personnelle. Behnam veut devenir inventeur — « comme les Japonais qui ont inventé les robots » -, afin, dit-il, de témoigner de sa « reconnaissance envers ce que les Européens vont faire pour nous« .
En tête des ses projets : concevoir un nouveau drone pour détecter et détruire les bombes. Un engin qui aurait pu sauver la vie à l’ami qu’il dit avoir perdu dans l’explosion d’une voiture.
« Je sais que parfois, quand vous êtes jeune, les gens ne vous prennent pas au sérieux« , confie l’adolescent à l’AFP, le visage grave.
« J’ai besoin d’en savoir un peu plus pour programmer et dessiner cet engin. Si je vais en Allemagne et que quelqu’un m’aide, cela me prendra entre six mois et un an« , pense-t-il.
« Ce que j’aime chez les Allemands, c’est qu’ils respectent votre talent et croient en vous« , affirme-t-il.
– ‘Infidèles’ –
Il espère que son goût du savoir sera plus apprécié en Allemagne qu’à Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan. C’est là qu’il a poli son anglais en bavardant avec des soldats américains, bravant les conseils de sa mère qui redoutait qu’ils lui apprennent à fumer.
Fils d’un laitier, Ahmadi explique que ses parents « ne sont pas éduqués mais très férus de culture« .
Il y a deux ans, il a commencé à donner des cours informels à des plus jeunes dans sa chambre, initiation à l’informatique, peinture et langues étrangères. « Je voulais partager ce que je savais, c’était gratuit. Je voyais un rayon d’espoir dans leurs yeux, cela me payait suffisamment« .
Mais les talibans locaux « nous ont dit que nous étions des infidèles car nous enseignions des langues étrangères à des enfants« , raconte-t-il, amer, et « ils ont menacé de lapider ma sœur et ma mère à cause de moi« .
Behnam Ahmadi a fermé sa « classe » fin 2014. C’est alors qu’il a décidé de mettre le cap sur l’Europe. Sa famille est restée en Afghanistan.
Quand il arrive à Lesbos, il a déjà passé plus de 50 jours, a été battu par des garde-frontières iraniens, a dû marcher un jour 24 heures d’affilée, et a travaillé un mois dans un supermarché turc pour gagner un peu d’argent.
« Le voyage vous mûrit« , lance-t-il rêveur, en repensant aux difficultés, et à ses craintes que le rêve allemand lui glisse entre les doigts.
Conscient de ne pas être bienvenu pour tout le monde, malgré les promesses d’accueil hors normes formulées par Berlin, il s’inquiète d’un rejet de sa demande d’asile, et de la manière dont il réussira à s’adapter, alors que le plus gros de ce qu’il sait sur l’Allemagne vient des livres.
« Nous sommes des nouveaux venus. Nous venons d’autres cultures, d’autres traditions. Et cela va évidemment poser toute une série de problèmes« , reconnait-il.
« Je comprends qu’on nous aime bien. Mais je comprends aussi qu’on ne nous aime pas, on a le droit de se sentir menacé par la présence d’étrangers« .
Source : AFP