Par son invention, Daniel Thompson a fait de cette spécialité traditionnelle juive un des plus grands succès de la cuisine mondiale, non sans essuyer de vives critiques.
Les bagels, une spécialité de la cuisine juive d’Europe de l’Est, sont arrivés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, et sont longtemps restés cantonnés à la communauté juive de New York. Daniel Thompson, décédé le 3 septembre à l’âge de 94 ans, est l’homme qui a popularisé le bagel jusqu’à en faire une spécialité vendue dans le monde entier.
Il a mis au point la première machine industrielle à faire des bagels, ces petits pains fermes au levain avec un trou au milieu, propulsant la spécialité traditionnelle au rang de produit phare de la gastronomie américaine, puis mondiale. Pour mémoire, nous relations il y a peu une archive du New York Times de 1946, dans laquelle la présidente d’une association de consommateurs, moquant la forme du bagel, en parlait comme «de petits pains juifs durs avec des trous au centre».
«Tout le monde aime les bagels aujourd’hui, ça n’est pas [une spécialité] plus ethnique que la pizza», explique dans le Los Angeles Times Marilyn Bagel, la bien nommée auteure de La bible du bagel.
«Perte de la saveur juive»
Le père de Thompson avait longtemps expérimenté diverses techniques pour mettre au point une telle machine, mais aucune n’était commercialement viable. Daniel, son fils, a suivi des études de techniques industrielles et de mathématiques, et a perfectionné l’invention de son père. En 1964, il s’associe à Murray Lender, qui utilise ses machines pour commercialiser la première ligne de bagels surgelés.
Auparavant, deux hommes pouvaient manuellement faire 120 bagels à l’heure, alors que la machine de Thompson en produisait 200 à 400, et que ses plus grosses machines en produiront jusqu’à 5.000. Mais à partir de là, l’équilibre entre tradition, culture et économie du bagel a été bouleversé. «Il y a eu une sorte de schisme dans l’histoire de la fabrication du bagel : l’avant-Daniel Thompson et l’après-Daniel Thompson», indique dans le New York Times Matthew Goodman, auteur d’un livre sur la cuisine juive.
Jusque dans les années 1960, chaque bagel produit aux États-Unis était l’œuvre d’un artisan membre du syndicat international des boulangers fabricants de bagels, et les réunions avaient lieu en yiddish. L’introduction de la machine de Thompson mis brusquement à cette spécialisation: n’importe quel individu pouvait désormais se lancer dans la fabrication et la commercialisation de bagels. Selon l’auteur, «le bagel a perdu, littéralement et métaphoriquement, sa saveur juive».
Parmi les inventions majeures de la «culture périurbaine» américaine des années d’après-guerre, précise le New York Times, Thompson est aussi à l’origine du premier dépôt de brevet pour une table de ping-pong pliante sur roues.
Auteur : Jean-Laurent Cassely
Source : www.slate.fr