Emmanuel Bailly : « Ils m’ont juste mis sur la touche, j’ai un peu l’impression d’être jeté comme un malpropre ».
Emmanuel Bailly a été recruté par la gauche pour enclencher dans le département un projet pour une agriculture locale, plus saine et créatrice d’emplois. La droite vient de le licencier.
La semaine dernière, la droite départementale a mis fin à la mission attribuée à Emmanuel Bailly par la précédente majorité, de gauche. Il avait été engagé par l’équipe d’Eric Gautier pour mettre en marche en Deux-Sèvres un nouveau modèle d’agriculture et de consommation que les cantines de nos collèges devaient amorcer. Il visait à stimuler une production d’abord locale, saine, plus bio, respectueuse de la terre, des agriculteurs et des consommateurs.
Emmanuel Bailly, le grand public vous connaît peu. Qui êtes-vous ?
« J’ai d’abord été éleveur caprin dans l’Indre et puis j’ai vendu mon exploitation pour me payer quatre années d’études à Limoges. Là, j’ai étudié les questions de préservation de notre environnement, j’ai obtenu mon titre d’ingénieur en traitement des eaux et des déchets. J’ai conclu ce cursus avec un mémoire sur un concept que j’ai imaginé : l’éco-région. »
Ce travail vous a valu d’être invité par le Département en février 2011 pour une conférence sur ce thème. Qu’est-ce qu’une éco-région ?
« C’est une stratégie de gestion des risques climatiques et énergétiques pour préparer un territoire aux enjeux du XXIe siècle. Le territoire est considéré comme un organisme vivant engagé dans une dynamique vertueuse. On ne parle pas ici de région administrative, mais d’un territoire qui vit, un corps qui évolue et va s’installer dans une démarche de développement durable, de création d’emplois, de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre… »
Selon vous, notre alimentation est une entrée pour mettre en place ce concept…
« Notre alimentation est à l’origine de 80 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Mettre en place une éco-région, c’est réorganiser notre territoire de façon à réduire ces émissions tout en soutenant l’agriculture locale, c’est aussi permettre à chacun de rester sur le territoire pour y travailler. Mais la méthode n’est rien sans une réelle volonté politique… »
Une volonté politique ?
« Oui. Comme celle du conseil général d’Eric Gautier qui m’a demandé, après ma conférence de février 2011, de travailler sur la restauration collective dans les Deux-Sèvres. C’était un bon moyen d’enclencher la mécanique. »
C’est le projet Résalis…
« Oui, Résalis est un projet global de territoire. Le but est de consommer des produits locaux, sains, préparés localement. Accepter cette démarche, c’est soutenir et développer un outil collectif de production, c’est créer dans le territoire une ou plusieurs entreprises de transformation, c’est aussi y ouvrir un centre de formation. »
Quelle était votre vision pour les Deux-Sèvres ?
« Grâce à un « indicateur de souveraineté alimentaire », j’avais calculé les besoins potentiels de la restauration collective dans les cinq bassins de vie du département. Je visais les dix millions de repas par an. En Thouarsais par exemple, avec les écoles, collèges, lycées et maisons de retraite, on a un potentiel de 1,2 million de repas à servir. Pour préparer ces repas avec des produits locaux, il nous faudrait treize hectares de cultures de plein champ, huit hectares de vergers pour les fruits, trente hectares de blé tendre pour le pain… Et on aurait aussi besoin d’employer au moins soixante-quinze personnes pour cultiver ces espaces… Si on avait visé ces dix millions de repas, on aurait réveillé ce que j’appelle « le génie des territoires » et créé des centaines d’emplois en un temps record. »
Le jeudi 10 décembre, l’association Résalis fêtera, à Saint-Maixent- de-Beugné, le million de repas servis en 2015.
à chaud
» Sans dynamique, Résalis est un leurre ! «
Pourquoi Emmanuel Bailly parle-t-il du projet Résalis comme s’il était enterré ? « En supprimant mon poste avant le terme de ma mission (je devais rester en place jusqu’en 2017, mon contrat venait juste d’être reconduit), explique-t-il, la nouvelle majorité envoie un message : elle souhaite lever le pied sur le projet Résalis, notamment en étant moins exigeante sur le bio. » (lire » Circuits courts : le réseau Résalis à un tournant », la NR du 2 septembre).
Peut-être ce projet est-il trop ambitieux ? « Même si on manque encore de maraîchers pour répondre à la demande en fruits et légumes bio, ce projet n’est pas trop ambitieux ! Tout est prêt ! C’est complexe c’est vrai, mais ce n’est pas compliqué. Il faut juste une volonté politique pour continuer à mettre en place les actions pour lesquelles de nombreux acteurs ont déjà investi. Un projet de cette ambition ne se met pas en place d’un claquement de doigts puisqu’on remet en cause le modèle agricole actuel. Ça suppose des choix, du courage, un changement de politique agricole… »
Que lui inspire son éviction ? « Je n’ai eu aucune relation avec la nouvelle majorité. Ils m’ont juste mis sur la touche, j’ai un peu l’impression d’être jeté comme un malpropre. Mais je ne suis même pas en colère, je crains juste que Résalis ne soit plus qu’un leurre… car sans une dynamique forte, c’est mort. »
Auteur : Emmanuel Touron
Source : www.lanouvellerepublique.fr