Article de presse

Chercheur un métier ? Recherche publique et privée


Avant-hier, dans le premier de mes trois blogs sur le sujet dont voici le dernier, j’ai évoqué les deux articles de Mediapart proposés par Jean-Florent Campion ; le second, le plus récent, du 26 avril 2016, s’intitulait : « Le CNRS règle plus de 500000 euros à un de ses inventeurs spoliés et ce n’est pas terminé…… ». La lecture de ce dernier article m’a mis sur la piste d’un texte plus ancien du même auteur, en date du 7 juillet 2015, dont le titre était « Le CNRS du président FUCHS spolie d’environ 2 millions d’euros ses chercheurs inventeurs depuis 10 ans. ».

Ce billet de 2015 est indispensable à la compréhension de la situation, car il fait, dans son détail, l’historique de cette affaire de rémunération des « inventeurs » du CNRS qui sont si peu nombreux qu’un rappel des faits est indispensable, après une très brève mention des données quantitatives sur les « brevets » au CNRS. On a vu hier que, pour une seule année (2015) le groupe Safran a déposé 7000 brevets alors qu’en dix ans (depuis 2005), le CNRS n’en a déposé que 3500 ; je rappelle en outre que, comme on l’a vu, le retour sur investissement dans la recherche publique française est au CNRS si ridicule que je ne juge pas utile d’en rappeler à nouveau les chiffres ici.

C’est sans doute ce qui explique que le ministère de la recherche ait mis tant d’années à se poser le problème de l’attribution éventuelle d’une prime aux « inventeurs physiques » des EPST et des universités pour les récompenser de leur éventuelle inventivité, même si l’activité de recherche est pour eux principale pour ne pas dire unique dans le premier cas et forte (mi-temps) dans le second. Cette innovation récente s’est inscrite dans le cadre du plan « Innovation », présenté en 2003 par Claudie Haigneré et consiste en une prime individuelle accordée aux inventeurs. Le décret portant création de cette prime individuelle a été publié le 26 septembre 2005.

Suivons J.F. Campion pour distinguer recherche publique et privée :

« Le décret ajoute à la prime d’intéressement (très favorable pour les inventeurs qui touchent plusieurs millions d’euros par an sur le produit des licences accordées aux entreprises privées), une prime au brevet d’invention, dont le montant a été fixé à 3.000 euros par l’arrêté du 26 septembre 2005 fixant le taux de la prime au brevet d’invention attribuée à certains fonctionnaires et agents de l’État et de ses établissements publics auteurs d’une invention ».

« Mais c’est pas tout ! Mais c’est pas tout !» comme chantait autrefois Bourvil, à propos non du CNRS mais de la « tactique du gendarme » ; le meilleur est encore à venir !

Cette prime est, en effet, selon les termes du décret, « versée en deux tranches. Le droit au versement de la première tranche, qui représente 20 % du montant de la prime, est ouvert à l’issue d’un délai d’un an à compter du premier dépôt de la demande de brevet. Le droit au versement de la seconde tranche est ouvert lors de la signature d’une concession de licence d’exploitation ou d’un contrat de cession dudit brevet ».

Selon Jean-Florent Campion, pour les brevets qui ont été déposés par le CNRS depuis 2005, le CNRS doit donc plus de 2 millions d’euros à ses chercheurs qui ont été à l’origine d’un brevet déposé par lui ! Selon ce même auteur, qui se fonde sur les témoignages de nombreux chercheurs, le CNRS, alléguant l’absence de circulaire d’application (stratégie gouvernementale bien connue et très fréquente!), n’a versé à ce jour aucune rémunération à ce titre.

La question a été posée à l’Assemblée nationale (n° 26977, JO 21/05/2013 p. 5233) au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. La réponse est claire (JO le 30/07/2013, p. 8216) : « Le décret de 2005 [relatif à l’intéressement des inventeurs] ne nécessite aucune circulaire pour être appliqué ». « Néanmoins le CNRS s’obstine à vouloir ne pas donner à ses inventeurs la petite prime auquel ils ont droit depuis … dix ans. ».

Comme l’annonce Jean-Florent Campion dans son blog du 26 avril 2016 (dont je rappelle l’intitulé désormais mieux compréhensible « Le CNRS règle plus de 500000 euros à un de ses inventeurs spoliés et ce n’est pas terminé…… »). La formule finale est toutefois un peu ambiguë car si l’affaire a connu récemment une forme de dénouement, (Tribunal de Grande Instance de Paris, Ordonnance de référé du 07/12/2015), il n’est peut-être que provisoire car on peut craindre le recours à d’autres procédures de la part du CNRS comme on va le voir par un autre exemple !

En forme de conclusion : bref rappel des faits eux-mêmes par J.F. Campion pour rendre l’affaire mieux compréhensible et expliquer les sommes en cause :

« Monsieur X Directeur de Recherches à la retraite est un inventeur brillant et prolifique. Il est l’inventeur d’une série de brevets internationaux appelés Carbon Coated très utiles dans les technologies de batteries rechargeables. Il a reçu, conformément à la loi, une rémunération supplémentaire entre 2003 et 2013 dont le montant reste inconnu, mais qui visiblement n’était pas à la hauteur de la valeur économique des inventions. Depuis 2012, Monsieur X a demandé au CNRS le détail de l’exploitation économique de ses brevets et des revenus obtenus par le CNRS (redevance). Les réponses du CNRS étant visiblement non satisfaisantes, Monsieur X a intenté une action en justice auprès du TGI de Paris pour connaître précisément les données économiques de ses inventions. Le CNRS a, de toute urgence, versé fin 2014 154.000 euros et 370.000 euros en 2015 pour tenter de masquer la situation et a tenté sans succès de faire déplacer vers les autorités judiciaires administratives plus conciliantes ce conflit salarial.

Le CNRS tente aussi de masquer la spoliation de son inventeur en demandant une prescription sur les revenus d’avant 2008. L’affaire n’en n’est qu’à son début. Combien d’autres ont été spoliés ? Je soutiens ce courageux inventeur et exhorte les autres inventeurs de la fonction publique et du CNRS en particulier à faire de même. ». J.F . Campion.

Fort heureusement, au CNRS, les « inventeurs » sont aussi peu nombreux que peu productifs ! Il y a tant à faire dans les Commissions !

Mais gare aux précédents ! Pour rire un peu (mais jaune !) car si le CNRS manque d’inventeur, il a un service juridique solide :

« Brevets, moteurs ou freins à l’innovation ? » (Jeudi 20 juin 2013) « Quelles opportunités peuvent offrir les brevets et logiciels du CNES ? » (31 mai 2013 ; Chroniques de la propriété intellectuelle :: le point de vue de Pierre Breeze ).

« Affaire Puech vs. CNRS : épilogue (salé) pour le CNRS

Démarré il y a 15 ans, le contentieux qui opposait le Dr Puech au CNRS vient de trouver un aboutissement définitif par un arrêt de la Cour de cassation, confirmant les droits du Dr Puech et condamnant le CNRS à lui verser 650.000 € au titre de dommages-intérêts et d’article 700, en sus des 155.000 € déjà accordés dans l’instance précédente.

Rappel des faits : Pendant un stage de DEA de génie biomédical effectué au sein du service d’ophtalmologie de l’Hôtel Dieu, Michel Puech invente un procédé d’échographie de l’œil. N’étant ni salarié ni agent de la fonction publique, il dépose une demande de brevet à son nom le 18 décembre 1997.

Le laboratoire où Michel Puech effectuait son stage étant une unité CNRS, ce dernier dépose également, le 12 janvier 1998, une demande de brevet portant sur la même invention, et mentionnant comme inventeur, Mme Geneviève Berger, alors directrice du laboratoire d’imagerie paramétrique (et plus tard directrice du CNRS).

S’en suit une bagarre de brevet avec la confirmation par le TGI des droits de Michel Puech, l’infirmation par la cour d’appel au motif que Michel Puech était « usager du service public » et reconnaissant les droits du CNRS sur l’invention sur la base du règlement intérieur du laboratoire. La Cour de cassation annule cette décision et le renvoi ordonne à Michel Puech de contester la validité du règlement intérieur auprès du Tribunal administratif, seul compétent. Ce règlement intérieur est annulé par le TA, décision confirmée en Conseil d’État. Cette situation aboutit à confirmer les droits de Michel Puech sur cette invention.

La Cour de cassation vient de confirmer, définitivement sans doute, cette solution, en augmentant significativement les dommages intérêts accordés au Dr Puech, en raison du comportement de mauvaise foi du CNRS (désignation pour le brevet déposé ensuite par le CNRS, d’inventeurs « de complaisance », pression du Directeur du laboratoire pour tenter d’intimider Michel Puech et l’inciter à abandonner ses droits par des menaces de mise à l’écart de la communauté scientifique).

Quinze ans pour conclure un conflit avec une décision qui relève du bon sens qui aurait dû éclairer les parties dès le départ, sans doute beaucoup de problèmes d’ego et de postures, et finalement une addition bien lourde pour les deux parties, mais surtout pour le CNRS, et une énergie dépensée au détriment d’une valorisation efficace de cette invention qui avait un réel potentiel. ».

Auteur : Robert Chaudenson

Source : blogs.mediapart.fr

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