Article de presse

L’économiste Philippe Aghion dresse un portrait-robot de l’inventeur


L’économiste Philippe Aghion, inaugure un cycle sur « Les  politiques et les institutions de l’innovation » au Collège de France. Il a débuté son cours le 4 octobre sur le profil de l’inventeur.

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Philippe Aghion

Au Collège de France, dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre plein à craquer, il arrive en souriant et ne lâche pas le public pendant deux heures. Il parcourt l’estrade de long en large sans jamais se mettre au pupitre, interpelle l’audience, s’enthousiasme d’un jeu de données à exploiter, se désole d’une hypothèse prometteuse repoussée par les chiffres mais, qu’il faut bien admettre « au nom de la science ».  L’économiste, Philippe Aghion, rentré de Harvard depuis l’an dernier pour enseigner au Collège de France, laboure le sillon de ses recherches sur la croissance par l’innovation, un enjeu clé selon lui pour nos économies avancées qui trouvent de moins en moins de croissance via les facteurs classiques d’accumulation de capital ou de travail, pour des raisons de stades de développement et de plateau démographique.

Le 4 octobre, il inaugurait son cours sur les « Politiques et institutions de la croissance »  par celui par qui tout commence « l’inventeur ». Les prochaines sessions seront consacrées à tout ce qui tourne autour de la question de l’innovation, ses incitations, son financement, ses externalités, son commerce, les passerelles avec la science.

La première session a permis de mettre en avant sur le profil de l’inventeur avec « des corrélations qui ne font pas des causalités » mais que l’on retrouve dans de multiples études dans le temps comme dans l’espace, ce qui leur donnent une certaine solidité. Il y a là un « smoking gun » comme l’exprime l’économiste. Philippe Aghion s’est appuyé sur des travaux, issus de données historiques et contemporaines américaines et finlandaises, réalisés par ses collègues, ses élèves ou lui-même. De premier éléments ont été livrés car  la session sur le profil de l’inventeur se poursuivra le 11 octobre prochain

Les inventeurs n’inventent pas tout seul

Le mythe de l’inventeur génial, qui n’a besoin que d’un bout de garage et d’un fond de grange pour mettre au point tout seul une invention géniale qui va révolutionner l’humanité, ne résiste pas à l’examen. Thomas Edison, auteur de 1093 brevets né dans l’État agricole de l’Ohio a émigré dans le New Jersey, un État nettement plus peuplé et actif à l’époque. Cette histoire individuelle anecdotique est confortée par des données historiques et contemporaines américaines qui montrent que la part d’auteurs de brevets est bien plus importante dans les États américains, les plus peuplés, les plus fortement urbanisés et les plus fortement connectés en matière de transport. C’est ainsi, que les États des côtes Est et Ouest des États-Unis sont plus innovants et tirent beaucoup mieux leur épingle du jeu que ceux du centre. La dimension d’ouverture, de tolérance semble aussi essentielle. On trouve plus d’inventeurs dans les États où la participation des femmes au travail est importante. Sur données historiques, les États qui protègent moins bien les minorités sont à la traîne. « L’esclavage n’était pas très bon pour l’innovation » a déclaré l’économiste. Pourquoi en effet accélérer la productivité des facteurs de production, si l’on dispose d’un facteur travail gratuit…

Les inventeurs , comme les boulangers, le sont souvent de père en fils

Autre axe marquant, aussi bien en Amérique contemporaine qu’en  Finlande aujourd’hui le revenu des parents accélèrent très sensiblement la probabilité d’un individu de déposer des brevets. Si la courbe est plate pour les 80 premiers percentiles de revenus, sur les 20 derniers, le taux d’inventeurs décolle. Le revenu des parents abaisse clairement les barrières à l’entrée de l’éducation. En fouillant les données finlandaises, Philippe Aghion montre qu’au-delà du revenu des parents, qui reste un élément fort malgré l’excellence et la gratuité de l’éducation finlandaise, c’est le niveau de diplôme des parents qui augmente la probabilité d’être inventeur. Le fait d’avoir un père titulaire d’un master ou d’un doctorat pousse à l’innovation. Le niveau d’éducation des parents explique 24 % des écarts, le revenu 15 %.  Plus étonnant : qu’ils aient un père inventeur ou pas, les enfants brevettent en général dans des domaines technologiques proches de ceux où travaillent leurs propres parents. Mais, au final c’est le niveau d’éducation de l’inventeur lui-même, passé la barrière des revenus et de l’éducation des parents, qui reste le plus important. Ce qui légitime un combat pour une école plus égalitaire, qui donne ses chances à tous.

Les inventeurs ne sont pas beaucoup plus « intelligents » que les autres

Les différentes données contemporaines intègrent des résultats de tests de capacités réalisés en CE2 aux États-Unis et de test de QI au moment du service militaire en Finlande. Certes, leur réussite a un léger impact mais il n’est pas fondamental. D’ailleurs Philippe Aghion montre que s’il y a très peu de différences de capacités en CE2 entre les filles et les garçons, on ne compte aujourd’hui aux États-Unis qu’environ 18 % de femmes parmi les auteurs de brevets. « Il y a donc quelque chose de plus, ou quelque chose que les tests ne savent pas mesurer », conclut l’économiste qui reste très prudent sur la pertinence de ces tests à évaluer quelque chose qui ne soit pas lié au milieu social des parents. Enfin, sans s’étendre dessus, le chercheur constate grâce à des données historiques que les gros producteurs de brevets restent célibataires plus longtemps que les autres. Convoler ou trouver, il faut choisir.

Pour la suite, Philippe Aghion promet de s’intéresser aux revenus et à la fiscalité des inventeurs et celle de leur écosystème, en gros les incitations à la prise de risque. Car si, ne leur faisons pas offense, on peut supputer qu’un inventeur est principalement motivé par sa recherche et ses idées plus que par l’argent, ce n’est pas forcément le cas de ceux qui le financent. Tout cela augure d’intéressantes perspectives alors que le débat sur la fiscalité est relancée par la présidentielle.

Auteur : Anne-Sophie Bellaiche

Source : www.usinenouvelle.com

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