Historique des brevets et des droits de copies


« Litterrae Patentes, litteras breves » « lettre ouverte, lettre publique », document écrit par le roi plaçant son titulaire en dehors du champ de la loi commune en lui conférant une dignité, un emploi, une franchise ou un monopole, tel est le sens originel des patentes ou des brevets d’invention. Ce sont des privilèges.

Reprenons brièvement la présentation de Machlup et Penrose (1950) (F. Machlup et F. Penrose (1950) « The patent Controversy in the Nineteenth Century » The Journal of Economic History (may).).

Les lettres les plus anciennes attribuées par des rois à des inventeurs remontent aux XIVe et XVe siècles. Wenceslas II roi de Bohême instaure les premiers privilèges miniers. A Venise, en 1469, les Doges donnent à J. Speyer le privilège exclusif d’imprimer des livres et interdisent l’importation de livres étrangers. Fort heureusement pour l’industrie de l’imprimerie, J. Speyer est décédé l’année suivante. C’est en 1474, que les autorités de Venise décident d’une loi, la Parte Venezia, qui énonce pour la première fois les quatre justifications habituelles d’une loi sur les brevets, comme le précisent deux historiens modernes Plasseraud et Savignon (Y. Plasseraud et F. Savignon (1986), L’Etat et l’invention, histoire des brevets, Documentation Française.) : Encouragement à l’activité d’invention, compensation des frais engagés par l’inventeur, droit de l’inventeur sur sa création, utilité sociale de l’invention.

Pour exercer la censure, les Princes ont toujours voulu contrôler la presse. Ils ont donc donné un monopole aux imprimeurs et exigé l’enregistrement de tous les titres de livres qui étaient imprimés. L’espoir était d’empêcher les protestants de diffuser leurs idées ! Tous les livres qui n’étaient pas autorisés étaient saisis et détruits. Les droits d’auteurs émergent en 1641, en Angleterre, quand les éditeurs imprimeurs de l’époque, les « Stationner » qui contrôlent toute l’imprimerie et les copies de livres publiés, renégocient leurs privilèges avec la Couronne.

Avant l’imprimerie, les livres étaient recopiés par des scribes. Ceux-ci com-mettaient des erreurs ou prenaient la liberté de corriger ou de faire des ajouts, de telle sorte que l’on ne savait pas qui était vraiment l’auteur ou si c’est bien lui qui avait écrit ce qui était recopié ! Avec l’imprimerie, les choses changent. Plus besoin de copistes : l’auteur peut fixer définitivement sa pensée sur du papier. Sa pensée lui survivra cette fois sans erreur ou ajout, intacte.

Ce système d’octroi de privilèges s’est développé et dénaturé au cours des siècles suivants. Certaines de ces lettres étaient données à des inventions nouvelles ou à des techniques importées, pour une période limitée ou pour l’éternité. Certains privilèges assuraient une protection contre l’imitation et octroyaient de fait un monopole contre la concurrence. D’autres, au contraire, exemptaient l’invention ou la technique des réglementations imposées par les corporations. Ils avaient alors pour objet de réduire les positions de monopole et d’accroître la concurrence. Souvent, ces privilèges étaient octroyés pour faire ce que la loi ou les règlements interdisaient de faire ! La plupart des privilèges nous dit Renouard (A.C. Renouard (1844), Traité des Brevets d’invention, Paris, Guillaumin), un célèbre juriste du temps, conseiller à la Cour de Cassation et auteur d’un traité sur les brevets d’invention, ne servaient pas à récompenser les inventeurs ou à protéger leurs innovations – voire à développer une industrie – mais à accorder un monopole à des favoris du roi.

Devant ces abus, le Parlement anglais finit par interdire à la Couronne d’attribuer des privilèges, avec pour seule exception le monopole des patentes qui offrait un privilège au premier inventeur. C’est la loi du Statute on Monopolies de 1623, seconde grande loi sur le droit de propriété des inventeurs après celle de la République de Venise. Puis, entre 1624 et 1850, le système des brevets d’invention s’est répandu dans le monde occidental. En 1787, la Constitution américaine donne au Congrès le pouvoir de :  » pro-mouvoir la science et les arts, en accordant pour une durée limitée aux auteurs et inventeurs un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes « .

En France, l’Assemblée Constituante, avec la loi du 7 janvier 1791, déclare : « Toute découverte ou nouvelle invention, dans tous les genres de l’industrie , est la propriété de son auteur ; en conséquence, la loi lui en garantit la pleine et entière jouissance, suivant le mode et pour le temps qui seront ci-après déterminés « : Le Chevalier de Boufflers, rapporteur de la loi, écrivait :  » S’il existe pour un homme une véritable propriété, c’est sa pensée ; celle-là paraît du moins hors d’atteinte, elle est personnelle, elle est indépendante, elle est antérieure à toutes les transactions ; et l’arbre qui naît dans un champ n’appartient pas aussi incontestablement au maître de ce champ, que l’idée qui vient dans l’esprit d’un homme n’appartient à son auteur. L’invention qui est la source des arts, est encore celle de la propriété ; elle est la propriété primitive, toutes les autres sont des conventions « . Le fondement des brevets d’invention est donc la propriété  » naturelle  » de l’homme sur les fruits de son travail.

En 1810, l’Autriche adopte un système où les inventeurs n’ont aucun droit de propriété sur les inventions. Le gouvernement se réserve le droit d’accorder des privilèges pour restreindre le droit « naturel » d’imiter l’idée d’un inventeur.

Quatre lois, quatre façons différentes de voir le droit de propriété sur les inventions :

1) La loi américaine : Promouvoir l’industrie et les arts en récompensant l’inventeur par un monopole temporaire.

2) La loi française : Reconnaître un droit de propriété limité dans le temps.

3) La loi anglaise : Refuser à l’Etat le droit de distribuer des privilèges de monopole exception faite des inventions.

4) La loi autrichienne : Restreindre le droit d’imiter les inventeurs pour des raisons d’utilité sociale.

D’une façon ou d’une autre, la plupart des Etats ont adopté un système légal de protection des inventions. La Russie en 1812, la Prusse en 1815, la Belgique et la Hollande en 1817, l’Espagne en 1820, la Bavière en 1825, la Sardaigne en 1826, le Vatican en 1833, la Suède en 1834, le Wurtemberg en 1836, le Portugal en 1837 et la Saxonie en 1843. Dans cette première vague on remarque un absent de marque : la Suisse. Ce pays refuse de légiférer à propos des inventions.

Aux alentours de l’année 1827, des plaintes sont formulées en Angleterre devant la difficulté d’obtenir ces privilèges. Différents groupes de pression s’efforcent d’influencer le législateur pour qu’il modifie la loi en faveur des inventeurs. Ces pressions, paradoxalement, ont entraîné une contre-attaque extrêmement vive de ceux qui désiraient l’abolition du système de brevet. Le journal l’Economist, de nombreux inventeurs, des députés, le vice-président de la Chambre de Commerce de Londres étaient des partisans de l’abolition pure et simple de la loi. En Allemagne et en France, un mouvement semblable apparaît. Ingénieurs, inventeurs, industriels, avocats spécialisés dans ces affaires et tous ceux qui de près ou de loin bénéficiaient du système des patentes se trouvaient dans le camp de ceux qui défendaient le système de brevet. Les économistes de l’époque, en France, principalement, engagés par ailleurs dans une campagne de libre-échange, voyaient dans le droit des brevets non pas la reconnaissance d’un droit de propriété mais l’attribution d’un monopole individuel ayant les caractéristiques d’un privilège. Ils rejoignent le camp des abolitionnistes. La querelle a été totale et a touché énormément de monde. Pamphlets, livres, articles savants, journaux de la presse quotidienne, débats dans différentes associations professionnelles d’hommes de loi, d’inventeurs ou d’économistes, discussions au Parlement ponctuent cette controverse.

Des commissions parlementaires étudient en Angleterre le système des patentes (en 1851-1852, puis à nouveau en 1862-1865 et enfin en 1869–1872). La plupart concluent à l’aspect dommageable du système. Une réforme réduit la durée du monopole et rend plus stricte l’application de la loi. En France, des travaux similaires ont été entrepris pour réviser la loi de 1791. Dès les années 1828, rapporte Renouard, une commission s’est occupée de ce problème. Interrompus, les travaux de la commission sont repris en 1832 par le Comte d’Argout, Ministre du Commerce. Ces travaux ont consisté en une vaste enquête d’opinion auprès des Chambres de commerce et des manufactures, des Tribunaux de commerce et de prud’hommes, des académies savantes, des particuliers ou des fonctionnaires. Adopté par le gouvernement, le projet de réforme de la loi sur les brevets proposé par cette commission a été finalement ratifié le 4 juin 1844 par le Parlement et promulgué le 8 juillet de la même année.

Dans un premier temps, le mouvement abolitionniste, très connecté avec le mouvement pour le libre-échange, semble l’emporter un peu partout en Europe. En Prusse, Bismarck s’oppose au système de brevet d’invention pour la Confédération du nord de l’Allemagne ; la Suisse demeure le seul pays de l’époque à ne pas avoir de loi sur les patentes, les autorités résistent aux assauts répétés des tenants du protectionnisme. La Hollande en 1869 abolit le système de protection des brevets qu’elle avait adopté quelques années plus tôt en 1817.

Nous observons alors une grande période d’idées libérales entre 1840 et 1873 qui conduit à un mouvement en faveur de l’abolition des brevets et droit de copies. Mais les partisans du monopole et de la protection des brevets vont l’emporter. Le tournant fatidique se situe en 1873. Une campagne impressionnante des groupes de pression intéressés par la loi sur les brevets s’est développée dans une ambiance de protectionnisme croissant. Création de sociétés pour la protection des brevets, pétitions distribuées à la presse quotidienne, conférenciers, pamphlets, articles, prix offert au meilleur article qui défendra le système de brevet, conférences internationales, toutes ces techniques de diffusion de la pensée ont été utilisées à l’époque. La dépression économique des années 1870 et la montée des nationalistes sapent le mouvement libre-échangiste.

Cette défaite s’est traduite par une vague de législation : 1874 en Grande Bretagne, 1877 en Allemagne, 1885 au Japon, 1887 en Suisse ! Le dernier bastion du « libre-échange » en matière de brevet, la Hollande, cède finale-ment en 1910 ! Il faut attendre 1957 et les années 1980 pour que l’on modifie ces lois, principalement pour prendre en compte les nouvelles technologies de communication. Et qui a aboutit à un code de la propriété intellectuelle !

Auteur : Bertrand Lemennicier, professeur à l’université de Paris II Panthéon Assas

Son site : www.lemennicier.com


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