Brevets d’invention, droits de reproduction et propriété intellectuelle


Faut-il abolir les privilèges légaux et les monopoles accordés aux inventeurs et créateurs sous les noms de : brevets d’invention, marques, appellations d’origine, modèles, droits d’auteurs ?

Introduction

L’explosion dans la manière dont on créé, conserve, transmet et manipule les idées ou les informations ou ce que l’on appelle les biens immatériels est un fait qui frappe beaucoup les esprits des contemporains. De tels biens incluent les idées, les procédés, les bases de données, les algorithmes, les programmes de calcul, les logiciels, les produits littéraires ou artistiques, films, peintures, romans, les sons musicaux, les mélodies, les chansons, les poèmes etc.. Les nouvelles technologies qui touchent l’informatique, la communication électronique, les autoroutes de l’information, la biotechnologie, les animaux modifiés génétiquement, la photocopie, les scanners optiques, les graveurs de cédérom, etc. ont bouleversé nos habitudes.

Les étudiants en connaissent long sur ces nouvelles techniques eux qui piratent les logiciels achetés ou déjà pillés par leurs camarades et qui photocopient à tour de bras les livres écrits par leurs professeurs au lieu de les acheter ou gravent les cédérom de musique pour les revendre à leurs copains. L’explosion de ces nouvelles technologies relance l’intérêt que peuvent porter économistes, juristes et philosophes aux brevets d’invention, aux marques, appellation d’origine, modèles et aux droits de copies.

Les marques sont des mots, des symboles ou d’autres signes distinctifs (un logo) qui , apposés sur un produit, une ressource ou accompagnant un service, permettent de les identifier et de les distinguer des autres produits, ressources ou services concurrents. Ariel est une marque de lessive, Bibendum une marque de pneu, Apple celle d’un ordinateur. Le droit à la marque s’acquiert par le dépôt et implique une recherche d’antériorité ( L’appellation d’origine comme la marque Evian s’acquiert par l’usage de la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. Nous ne ferons pas de différence entre la marque et l’appellation d’origine dans ce qui suit. ).

Cette image de marque a une durée de dix ans renouvelable indéfiniment La marque enregistrée confère à son titulaire le droit d’interdire toute reproduction ou imitation du signe pour des produits ou services identiques ou similaires. Ce droit peut se perdre dans deux cas particuliers: le défaut d’usage et si le nom de la marque devient un terme générique, c’est le cas de l’aspirine, du kérosène, de l’octane etc.

Le brevet d’invention confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers non autorisé la fabrication et la commercialisation de l’invention telle que définie dans le brevet. L’idée ou le procédé technique doit être nouveau et non évident pour l’homme du métier. Cela peut être un processus chimique ou électrique, un programme dans un logiciel informatique ( Une décision de la Cour Suprême des Etats Unis datant de 1981 a levé tous les obstacles légaux qui s’opposaient à ce que les logiciels informatiques puissent être brevetés. ) ou un animal génétiquement modifié. La durée maximale de protection est de 20 ans et cette protection est obtenue au moment du dépôt du brevet Aux Etats Unis la protection dure 17 ans et est accordée à celui qui découvre l’idée en premier. La première loi américaine sur les brevets date de 1790 elle fut rédigée par T.Jefferson et voté par le Congrès cette année là. Le premier brevet déposé dans ce pays fut un procédé concernant l’utilisation de la potasse pour la production d’engrais, l’inventeur était Samuel Hopkins. Thomas Edison déposa 1093 brevets. Aux Etats Unis toujours 100 000 brevets sont déposés chaque année et depuis 1790 on compte 5 millions de brevets.

Contrairement aux brevets, qui protègent la fonction et le but d’une idée, d’un procédé technique ou d’une méthode, les droits de copie ne protègent que l’expression artistique. Deux tableaux ou deux films sur une même histoire d’amour peuvent être protégés par deux copyrights, en revanche un brevet empêcherait les autres artistes de tirer une autre oeuvre d’art de la même histoire d’amour. Le droit d’auteur dure toute la vie plus 70 ans pour un particulier mais est d’une durée plus brève pour les entreprises et ne nécessite pas de formalité de dépôt. Il s’acquiert du seul fait de la création. Ce titre confère à son créateur un droit exclusif de reproduction, de diffusion et de représentation, il est même assorti en France d’une protection supplémentaire : le droit moral de l’auteur. L’oeuvre doit être originale et porter la marque de la personnalité de son auteur. Pour résumer brièvement les différences entre le droit à l’image de marque ( ou d’appellation d’origine) le brevet d’invention et le droit d’auteur ou du modèle on peut dire que :

1) le brevet protège une idée, un concept ou une méthode,

2) le droit de copie l’expression d’une idée,

3) et l’image de marque une réputation.

Dans certains secteurs de l’industrie les hommes politiques, sous l’action collective des fabricants organisés en groupe de pression, s’efforcent de protéger la réputation des produits marque soumis à la contrefaçon ou à la copie, Yves Saint Laurent ou Vuiton, pour les produits de luxe par exemple. Dans d’autres cas les hommes politiques s’efforcent de détruire les marques en favorisant la consommation des produits génériques comme dans le secteur de la pharmacie et du médicament cette fois sous la pression des organismes internationaux de santé publique ! Cette incohérence n’en est pas une si l’on conçoit la démocratie comme une compétition entre groupe de pression pour obtenir auprès des hommes politiques l’usage de la coercition, dont ils ont le monopole, afin d’échapper aux lois « naturelles » du marché.

Nous n’entrerons pas dans ce débat directement mais indirectement. En effet pour convaincre les électeurs des bienfaits de l’usage de la coercition pour échapper à la concurrence naturelle des imitateurs ou des autres créateurs, les industriels, les inventeurs doivent développer une rhétorique ou un argumentaire pour cacher le fait fondamental, et banal à la fois, qu’il s’agit d’une demande de protection contre des concurrents particuliers appelés imitateurs, copieurs, « hackers », contrefacteurs etc.

Notre objet ici est de démontrer que l’argumentaire actuel ne repose sur aucune base scientifique sérieuse et est entaché de jugement de valeurs incompatibles avec l’idée que ce font les économistes de leur propre discipline. Le débat sur la propriété intellectuelle ou sur les brevets d’invention et droits de copies n’est pas nouveau comme en témoignent les écrits des économistes français du XIXe siècle qui ont déjà débattu de cette question de la propriété intellectuelle avant et pendant l’instauration des lois sur les brevets. Paradoxalement le débat du XIX siècle est, comparé à celui d’aujourd’hui, d’une richesse insolente. Ceci illustre incidemment que l’analyse économique, contrairement à ce que l’on pense habituellement, ne progresse pas de manière linéaire puisque, dans ce domaine, depuis le siècle dernier elle a, au contraire, reculé.

Pour notre démonstration nous procéderons en trois étapes. Nous commencerons par un historique de la législation. Ensuite, nous présenterons le débat entre les tenants du monopole et les tenants des droits de propriété. En effet on peut soutenir, comme l’ont fait G. Molinari et C. Le Hardy de Beaulieu, que la propriété intellectuelle est une propriété comme une autre. A partir du concept usuel de droit de propriété, on peut soutenir l’argumentation qu’il s’agit là du meilleur moyen de protéger les idées car la distinction entre biens matériels ou immatériels pour accorder un privilège est sans fondement.

Auteur : Bertrand Lemennicier, professeur à l’université de Paris II Panthéon Assas

Son site : www.lemennicier.com


En savoir plus sur Invention - Europe

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

C'est à vous !

search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close