La loi applicable dans les cas de violation des droits de propriété intellectuelle conformément à la Proposition de Règlement Rome II


1) La Commission européenne a publié, le 22 juillet 2003, la proposition longuement attendue de règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (COM (2003) 427 final), ce dernier étant connu comme règlement Rome II. L’article 8 du règlement établit une règle spéciale en matière de «propriété intellectuelle», notion autonome du droit communautaire qui comprend les droits d’auteur et les droits voisins, aussi bien que les droits de propriété industrielle.

Le premier paragraphe de cet article, qui se réfère au droit national de propriété intellectuelle, dispose que «la loi applicable à l’obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée». Le deuxième paragraphe, qui concerne les « droit[s] de propriété industrielle communautaire à caractère unitaire » – la marque communautaire, le dessin ou modèle communautaire, les obtentions végétales, les appellations d’origine et les indications géographiques et éventuellement dans le futur le brevet européen -, dispose que les règlements communautaires pertinents seront applicables, et que pour toute question qui ne tombe pas dans le champ d’application de ces règlements « la loi applicable est celle de l’État membre dans lequel il a été porté atteinte à ce droit ».

L’inclusion de cette règle de conflit de lois dans la proposition de règlement Rome II a surpris une grande partie du public, pour deux raisons, à savoir le manque d’une telle solution spécifique dans les versions antérieures de la proposition et le grand nombre de conventions internationales en la matière, qui disposent déjà d’une solution dans ces cas – entre autres la Convention de Berne et la Convention de Paris. Comme nous le verrons plus tard, le choix final de rédaction présente des avantages incontestables, mais peut également faire l’objet d’une certaine critique.

2) L’article 8 garantit que, indépendamment du pays dans lequel les sociétés exploitent leurs droits de propriété intellectuelle, les tribunaux des États membres appliqueront la même loi pour juger les éventuelles violations de ces droits dans les situations qui présentent un caractère international. Cela favorise la sécurité juridique et donne aux acteurs économiques, comme ils le réclamaient, la possibilité de prévoir des solutions lors de la mise en œuvre de leurs activités dans d’autres États membres et aussi, grâce au caractère universel du règlement – article 2 -, dans des États tiers.

De même, cette disposition favorise la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. D’un côté, l’existence d’une règle uniforme de conflit de lois élimine une des raisons principales qui obligent à effectuer un forum shopping. De l’autre côté, la reconnaissance et l’exécution ultérieures dans les autres États membres des jugements prononcés par les tribunaux nationaux en la matière sont facilitées.

Enfin, cette règle garantit un haut degré de respect de la protection de la propriété intellectuelle et la mise en œuvre des politiques communautaires dans le domaine, dans le cas où les droits en question font l’objet d’une exploitation sur le territoire de la Communauté européenne.

Effectivement, la lex loci protectionis garantit que la violation de ces droits qui a lieu sur le territoire communautaire sera régie par la loi d’au moins un État membre, qui, obligatoirement, aura incorporé dans son droit national les instruments juridiques provenant des institutions. L’application de ce droit ne peut pas être détournée par les parties, étant donné qu’elles ne profitent pas de la possibilité établie dans l’article 10, contrairement aux autres cas traités par le règlement Rome II, de choisir la loi applicable à la violation effectuée.

3) Pour ce qui concerne la critique de la règle établie par l’article 8, trois arguments doivent être mentionnés, à savoir la rédaction inopportune de la version espagnole, le champ d’application limité de la loi applicable et l’absence d’une réponse spécifique au problème des violations de droits de propriété intellectuelle commises sur plusieurs territoires.

Comme il a déjà été mentionné, l’article 8, paragraphe 1 établit que la loi applicable est «la ley del país en el cual se reclama la protección» – «celle de l’État membre dans lequel il a été porté atteinte à ce droit». Il s’agit de la formule utilisée par les accords internationaux en la matière – par exemple l’article 5, paragraphe 2 de la Convention de Berne. Néanmoins, cette solution ne tient pas compte du règlement 44/2001 qui permet aux tribunaux d’un État membre de se prononcer sur une réclamation pour une violation de droits commise dans un autre État. Dans ces cas, la rédaction de la loi peut amener le juge à appliquer sa propre loi nationale, vu que le recours pour la violation est présenté dans son pays, tandis qu’en réalité la loi applicable doit être la loi de l’État «pour lequel la protection est revendiquée», ou, en conformité avec l’article 8, paragraphe 2, «celle de l’État membre dans lequel il a été porté atteinte à ce droit». Pour cette raison, il serait préférable d’adapter la rédaction de la version espagnole à celle de la version française ou anglaise – «country for which protection is sought».

Une autre critique visant ce premier paragraphe se base sur le fait qu’il est uniquement applicable aux aspects non contractuels des droits de propriété intellectuelle, comme il peut être déduit du titre de la proposition de règlement, de la rédaction même des paragraphes 1 et 2 de l’article 8 et du champ d’application tel qu’établi dans l’article 11. Le règlement ne sert pas à définir le droit applicable dans le cas de non violation de ces droits. Ainsi, aucune réponse n’est donnée à des questions telles que les conditions d’accès à la protection, la validité et l’existence des droits, la définition de leur titulaire ou l’extension des droits concédés par une licence. Par conséquent, il s’agit d’une unification partielle du droit applicable à la propriété intellectuelle, étant donné que certains de ses aspects seront régis selon les règles de conflit de lois contenues dans le droit international privé de chaque État membre.

Enfin, un autre défaut de l’article 8 est qu’il ne prévoit pas de solution spécifique pour les violations de droits de propriété intellectuelle qui produisent des effets dans plusieurs États. Dans ces cas, qui sont très habituels pour les violations commises sur Internet, le juge compétent est obligé d’appliquer plusieurs lois au même litige, ce qui complique son travail et met en péril la sécurité juridique et la possibilité de prévoir les solutions, que les acteurs économiques réclament. La Commission aurait pu profiter de l’occasion pour établir une solution particulière dans ce cas, mais elle ne l’a pas fait. Sans aller plus loin, conformément à l’article 3, paragraphe 3 de la proposition de règlement, la loi désignée par la règle de conflit de lois générale du règlement ne sera pas applicable s’il résulte de l’ensemble des circonstances que la situation présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays. Cependant, étant donnée la rédaction actuelle de l’article et en l’attente d’une éventuelle interprétation par la Cour de Justice, cette disposition n’est pas applicable aux cas régis par les règles de conflit de lois spéciales -entre autres celles de l’article 8- du règlement. Sans aucun doute, la solution peut donner lieu à des critiques: cette clause échappatoire pourrait être utilisée pour désigner une seule loi applicable, parmi toutes les lois éventuellement applicables dans le cas d’une violation de droits de propriété intellectuelle effectuée sur plusieurs territoires, selon le lien plus étroit qu’elle présente avec la situation, à savoir la loi qui coïncide avec une relation contractuelle préexistante ou la loi de la résidence habituelle de la victime.

4) Sans aucun doute, l’inclusion de la lex loci protectionis dans la proposition de règlement Rome II doit être positivement accueillie dans la mesure où elle favorise l’accomplissement des objectifs communautaires dans le domaine de la propriété intellectuelle. Cependant, les défauts signalés permettent d’affirmer que la solution n’est pas tout à fait satisfaisante. Il aurait été préférable d’établir une règle de conflit de lois, comme celles du droit international privé autrichien ou italien, disposant de l’application de la loi de l’État d’utilisation ou d’exploitation des droits, indépendamment de l’existence ou non d’un acte de violation. De même, la clause échappatoire prévue par le règlement devrait être applicable également dans le cas où la loi applicable est désignée par les règles de conflit de lois spécifiques. En tout cas, la proposition doit encore traverser une longue procédure législative, et il ne serait pas surprenant que l’article 8 subisse des modifications significatives.

Auteur : Aurelio Lopez-Tarruella Martinez, Droit international privé, Université d’Alicante

Source : www.ipr-helpdesk.org


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