L’argent des brevets divise la recherche publique


L’AP-HP et l’Inserm ont des conceptions et des pratiques différentes en matière de transfert de technologie, ce qui pénalise les entreprises susceptibles d’en bénéficier.

Y a-t-il une seule façon d’envisager le transfert de technologie de la recherche publique vers le monde économique ? Sans doute pas. Mais quand, dans un pays de la taille de la France et sur un même domaine, celui de la santé, recherche académique et hôpital ont des conceptions trop divergentes, ce ne peut être qu’au détriment des entreprises qui veulent exploiter les technologies et, in fine, pénalisant pour la prise en charge des malades.

Une des caractéristiques de la propriété intellectuelle issue de la recherche publique française est son morcellement entre les différentes institutions (organismes de recherche, hôpitaux, universités…) du fait de la multiplication des laboratoires mixtes. Les industriels ou les créateurs d’entreprise désireux d’exploiter cette recherche sont ainsi condamnés à s’entendre avec de multiples interlocuteurs. Cette démarche, d’autant plus lourde que les copropriétaires sont nombreux, peut être facilitée si les organismes ont mis en place des accords-cadres concédant à un mandataire une délégation forte et fixant notamment les modalités de rémunération de chacun.

Propriétaire unique

C’est ce qu’Inserm Transfert, filiale de l’Inserm chargée de la valorisation, a entrepris avec les entités souvent partenaires de l’institution comme les universités parisiennes Paris-6 et 7, ou provinciales comme Strasbourg, Toulouse ou Montpellier-1. Ces accords prévoient une répartition à parts égales des revenus entre les copropriétaires. Un partage qui s’effectue après déduction des frais de valorisation (15 %) et rémunération des inventeurs (50 % des 85 % restants). Dans certains cas, comme avec l’Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC-Paris-6), l’accord, qui va donner lieu à une première expérimentation sur un an, va beaucoup plus loin. « Non seulement, il y a un mandataire unique sur tous les brevets communs mais nous avons aussi décidé d’en faire le propriétaire unique, dans la mesure où cela devrait s’équilibrer en volume entre les deux partenaires », explique Laurent Buisson, directeur général en charge de la recherche et du transfert de technologie à l’UPMC-Paris-6, qui y voit un moyen d’alléger le travail administratif et de fluidifier les relations avec les entreprises.

Équilibrer les comptes

De son côté, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), plus grosse structure hospitalière de France, a elle aussi signé des accords avec différentes universités parisiennes (Paris-5, 6, 7, 11, 12, 13), le CEA, le CNRS… Toutefois, à la différence des accords Inserm, la clef de répartition des revenus entre les copropriétaires est recalculée pour chaque contrat et, surtout, la rémunération de l’activité de valorisation au-delà des frais directs de propriété intellectuelle n’est prélevée qu’après celle des inventeurs. Il s’agit là d’un point de désaccord entre l’Inserm et l’AP-HP qui explique, en partie, pourquoi l’accord-cadre qui les liait jusqu’en 2004 n’a pu être renouvelé.

Pour Florence Ghrenassia, responsable de l’Office de transfert de technologie et des partenariats industriels de l’AP-HP, « il n’est pas acceptable que ces frais soient décomptés de ce qui doit revenir aux inventeurs. Les structures de valorisation doivent être rémunérées sur la part revenant à l’organisme ». Une prescription plus facile à suivre quand les coûts de valorisation se trouvent dilués dans les dépenses de l’institution. Côté Inserm Transfert, structure de droit privé bien que filiale à 100 % de l’Inserm, il faut bien, en revanche, équilibrer les comptes et donc facturer les prestations. « Le ministère de la Recherche et les juristes que nous avons consultés n’ont rien trouvé à redire à notre interprétation de la loi Allègre, et notre valeur ajoutée est reconnue par les chercheurs », observe pour sa part Cécile Tharaud, directeur général d’Inserm Transfert. Comme le fait d’ailleurs remarquer Florence Ghrenassia, « à 50 %, le taux de rémunération des chercheurs français est un des plus hauts du monde ». Il se compare à des taux qui tournent plutôt autour de 30 % aux États-Unis. Or, en supposant qu’on procède à un prélèvement à la source de 20 % sur les revenus de licence, la part des chercheurs reste encore de 40 %, soit un niveau élevé.

Contradiction

Mais la réforme du financement de l’hôpital s’inscrit aussi en contradiction avec le besoin de réduire le nombre de copropriétaires des brevets. Les activités de recherche et d’innovation à l’hôpital sont maintenant financées par les Merri (Missions d’enseignement, recherche, référence, innovation). Or le montant de leur enveloppe est calculé notamment à partir du nombre de brevets, de licences, d’accords industriels, d’entreprises créées… « Sur les 500 millions d’euros de Merri reçus en 2007 par l’AP-HP, confirme Florence Ghrenassia, la part déterminée par les critères de propriété intellectuelle était de 7,47 millions d’euros, à côté des 2,7 millions de recettes directement issues de la valorisation. C’est donc déterminant. » Le poids du critère brevet conduit ainsi l’hôpital à revendiquer le moindre fragment de propriété intellectuelle et à maintenir le nombre de copropriétaires. Le mandataire unique tel qu’établi par le décret en préparation sur la propriété intellectuelle issue de la recherche publique pourra-t-il être efficace dans un contexte d’une telle complexité ?

Auteur : CATHERINE DUCRUET

Source : www.lesechos.fr


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