Propriété industrielle : le dépôt dans tous ses états !


Que les industriels et créateurs s’éveillent depuis peu à l’intérêt du droit de la propriété industrielle est une évidence. Il n’en reste pas moins que cet intérêt est souvent suscité tardivement et dès lors subi à raison de la naissance d’un contentieux. Or, il importe sans plus tarder que les entreprises et particuliers apprennent à considérer le droit de la propriété intellectuelle comme un outil de travail au quotidien dont les ressources permettront à terme non seulement de protéger une valeur ajoutée, de conquérir des marchés, mais également dans bien des cas, d’éviter des procédures.

Le « dépôt » ne doit pas pour autant devenir l’objet de tous les fantasmes.

La notion de dépôt recouvre plusieurs réalités et chacune d’entre elles devra être appréhendée au regard des enjeux particuliers en cause.

Ces enjeux sont le plus souvent pour le quidam de donner date certaine à sa création, mais également de déterminer le périmètre de protection qu’il entend opposer aux tiers.

Il convient tout d’abord de rappeler que le dépôt est obligatoire en matière de propriété industrielle et non de propriété littéraire et artistique en ce qu’il est constitutif de droits pour celui qui y procède.

Ce mode de dépôt est géré par un office investi d’une mission de service public dénommé Institut National de la Propriété Industrielle en France.

Il apparaît d’ailleurs comme le seul mécanisme permettant de satisfaire tout à la fois les enjeux de datation et de détermination de l’objet de la protection précédemment évoqués. Les modalités et coûts du dépôt sont variables selon qu’il s’agit d’une marque, d’un brevet ou d’un dessin ou modèle et les subtilités liées à la détermination de l’objet du dépôt ne doivent pas être sous estimées.

La rédaction des revendications et descriptions en matière de brevets, le choix d’une marque nominale, figurative ou semi-figurative ainsi que des produits et services revendiqués, le choix entre un dépôt classique ou simplifié en matière de dessins et modèles, de même que le moment du dépôt, ou encore la détermination de la personne du déposant invitent sans nul doute à la consultation d’un spécialiste en ce qu’ils figent la nature et la consistance des droits de propriété industrielle. A défaut d’enregistrement national, international, communautaire ou européen proposé par les différents offices, d’autres modes probatoires sont néanmoins envisageables. Il s’agit de l’enveloppe soleau ou encore du dépôt opéré auprès d’un Huissier ou d’un Notaire.

Ces dépôts moins onéreux ne donnent pas lieu à la délivrance d’un titre de propriété industrielle et ne permettront pas d’agir sur ce fondement.

Cependant, ils permettent de prendre acte à une date certaine de l’existence d’une création et pourront légitimer des revendications sur le fondement du droit d’auteur si œuvre de l’esprit il y a, ou sur le fondement de la concurrence déloyale à l’instar de toute autre preuve datée de la conception ou de l’usage de la création revendiquée (factures, catalogues).

On entend déjà gronder les voix des déposants : A quoi bon procéder à l’enregistrement de nos droits de propriété industrielle auprès de l’INPI si le droit de la concurrence ou le droit d’auteur permet de pallier l’absence de diligences en ce sens ? Certaines décisions jurisprudentielles viennent d’ailleurs renforcer la pertinence de cette question dans la mesure où le champ du droit d’auteur a connu une expansion prodigieuse à raison de la subjectivité liée au critère d’originalité et qu’une place grandissante est aujourd’hui faite au droit de la concurrence, certains parvenant même à reconstituer grâce à lui un droit privatif pourtant inexistant.

L’utilité du dépôt serait-elle à reconsidérer ? On peut en douter fortement car si dérives il y a, il n’en reste pas moins qu’elles ne sont pas systématiques et surtout qu’elles ne sont pas de nature à entacher la précieuse garantie de sécurité juridique attachée à un dépôt si celui-ci a été réalisé dans les règles de l’art, c’est-à-dire par un spécialiste.

Il convient en effet de rappeler qu’une présomption de validité est attachée au titre délivré par l’INPI. Certes, cette présomption n’est pas irréfragable, mais elle sera néanmoins renforcée si une recherche d’antériorité ainsi qu’une étude subséquente sur les critères de protection requis ont été préalablement effectués. Cette phase préparatoire permettra au déposant de cerner autant que faire se peut les contours de son droit de propriété intellectuelle et d’anticiper sur les arguments qui pourront lui être opposés ultérieurement.Il convient en effet de rappeler que l’INPI ne procède pas à une analyse approfondie de la demande de dépôt. Le particulier s’expose ainsi, s’il n’a pas procédé à une recherche d’antériorités, à des contestations immédiates dans le cadre de la procédure administrative d’opposition à enregistrement, et/ou à des contestations ultérieures via la saisine des juridictions compétentes. S’agissant ensuite plus particulièrement du droit de la concurrence, il importe de souligner qu’il n’offre pas la possibilité de recourir à des procédures exorbitantes du droit commun telles que la saisie-contrefaçon.

Cette procédure nécessitant la saisine d’un commissaire de police ou plus fréquemment une ordonnance sur requête délivrée par le Président du Tribunal de Grande Instance, permet au titulaire des droits de s’assurer, avant toute action en contrefaçon, de la violation de ses droits par un tiers ainsi que de son ampleur, mais également de caractériser au mieux le manque à gagner dont il a souffert, évitant le plus souvent de solliciter une expertise judiciaire, source inévitable de frais et de rallongement de la procédure.

Il faut enfin mettre en exergue les récents efforts législatifs tendant à remettre en cause le principe selon lequel il n’est pas possible d’attribuer des dommages et intérêts potentiellement supérieurs au préjudice réellement subi.

La loi du 29 octobre 2007 tente en effet de renforcer les effets du droit de la propriété intellectuelle au regard du droit commun en ce qu’elle énonce les différents chefs de préjudice indemnisables, en ce compris « les bénéfices réalisés par le contrefacteur », laissant à penser que l’indemnisation ne pourra désormais être réduite à raison des capacités industrielles et commerciales moindres du détenteur des droits.

Le droit de la propriété intellectuelle trouve dans ces dispositions salvatrices un regain d’intérêt au regard du droit de la concurrence qui se doit quant à lui de continuer à proposer des sanctions conformes aux préceptes de la responsabilité civile. Il n’en reste pas moins que dans certains cas, le secret et la protection via les techniques contractuelles classiques demeureront préférables au dépôt notamment lorsque la création relève du savoir-faire. Ainsi, si le débat sur l’utilité du dépôt doit être purgé en sa faveur, celui de son opportunité et de ses modalités méritera systématiquement un examen circonstancié.

Auteur : Me Marie-Anne ESQUIE-BOCHEREAU, avocate au Barreau de Bordeaux

Source : www.echos-judiciaires.com


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