Article de presse

Les différentes manières de protéger le titre de son livre


Il l’habille, l’identifie et le décrit : le titre est essentiel pour un livre. Le rendre unique et empêcher sa reprise peut représenter une priorité pour l’écrivain. Entre élément dissociable ou indissociable de son ouvrage, le titre d’un livre est appréhendé par le droit et permet sa protection dans certains cas bien précis.

Les Misérables… Victor Hugo. Candide… Voltaire. Les Fourmis… Werber. Avec certains ouvrages incontournables, prononcer le titre fait surgir l’auteur. Le titre se confond avec l’écrivain et son œuvre, pour ne plus faire qu’un – d’ailleurs, on le retient souvent plus aisément que le nom de l’auteur. Pourtant, en droit, il peut être un élément dissociable de son ouvrage.  « Le titre se protège tout seul. Comme toute œuvre, soit il peut être qualifié d’œuvre de l’esprit et il est protégé, soit il ne l’est pas, et il n’est pas protégé », explique à ActuaLitté Jean Aittouares, avocat en propriété intellectuelle et nouvelles technologies et associé gérant du cabinet Ox avocats.

En droit français, le code de la propriété intellectuelle « protège les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quel qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (CPI, art. L. 112-1). Mais certaines conditions sont essentielles pour pouvoir jouir de cette protection : une œuvre est protégée si elle est originale.

D’origine jurisprudentielle et laissée à l’appréciation des juges, l’originalité est l’expression juridique de la créativité de l’auteur. Il ne s’agit pas ici de la nouveauté en tant que telle, mais « d’empreinte de la personnalité » de l’auteur. Le droit considère les idées comme appartenant à tous, alors que l’œuvre doit se concrétiser.

Le titre, une œuvre de l’esprit dissociable de son livre

Un livre est une œuvre de l’esprit. L’article L112-4 dispose ainsi que « le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ». Ce dernier peut donc être une œuvre distincte de la même manière que l’est un livre. « Prenons deux exemples : Les Hauts de Hurlevent peut être protégé car ce titre est original au sens du droit d’auteur, mais, Les Misérables ne le pourrait pas car il s’agit d’un mot courant associé avec un article banal », explique Me Aittouares.

Cinquante nuances de Grey n’est que la traduction littérale du titre anglais CA Paris 2 avril 2014

Si le titre est une œuvre de l’esprit originale, l’auteur pourra très logiquement bénéficier des prérogatives attachées au droit d’auteur. Il jouira d’un droit moral (notamment le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre) et d’un droit patrimonial (les droits de représentation et de reproduction, et le droit de suite).

Pour exemple, le titre Le livre des je t’aime a été estimé original en 2007. Selon la Cour d’appel de Paris « bien que cette expression soit composée de termes du langage courant banals et fréquemment utilisés de manière indépendante, l’association de ces deux termes est insolite et ne décrit nullement le contenu du livre, mais suscite la curiosité en ce que le lecteur ne sait ce qui sera décliné sous cette expression. Cette association de termes, inhabituelle, manifeste l’effort créatif nécessaire pour conférer au titre dans sa globalité un caractère original ».

De même pour On sera rentré pour les vendanges, la Cour d’appel a estimé que « quand bien même l’expression en cause aurait été communément utilisée à cette époque, son utilisation pour nommer un roman consacré à la narration de la vie d’un soldat dans les tranchées est originale ». Clochemerle, L’affreux jojo, ou plus récemment Cinquante nuances de Grey « qui n’est que la traduction littérale du titre anglais » pour la Cour d’appel, ont été également qualifiés d’originaux.

En revanche, le Tribunal de Grande Instance de Paris, en 1975, n’a pas considéré Le Parrain comme un titre original. De même, Aquarelle et Dessins, La Croisière des sables ou encore, Doucement les basses, titre reprenant une expression qui « était communément usitée en argot, voire dans le parler populaire, notamment à Paris, bien antérieurement à 1963 », selon le TGI de Paris.

Un titre, aussi percutant et innovant soit-il pour un livre, ne peut pas ainsi être toujours considéré comme une œuvre de l’esprit dissociable de son ouvrage. Certains écrivains s’inquiètent alors : que fait-on quand le titre n’est pas protégé ? Deux autres principes juridiques peuvent néanmoins être invoqués : le droit des marques et la concurrence déloyale.

Un titre, une marque ?  

« Le titre peut être également protégé à titre de marque, il a besoin d’être distinctif dans ce cas de figure. Cela signifie qu’au regard des activités et produits pour lesquels il est déposé, il permet une distinction, qu’il soit arbitraire », commente Me Aittouares. En effet, au sens de la propriété industrielle, la marque est un « signe » qui sert à distinguer les produits ou services de ceux des concurrents. Lorsque l’on dépose une marque, on obtient un monopole sur le territoire du dépôt pour 10 ans. Cependant, contrairement aux idées reçues, une marque n’est protégée que pour les produits et utilisations qui en découlent.

Le droit des marques n’est pas là pour créer des monopoles en matière de création Jean Aittouares

« Le droit des marques n’est pas là pour créer des monopoles en matière de création.  Par exemple, pour le titre d’un film ou d’un disque, cela le protège pour d’éventuels produits dérivés, mais pas nécessairement contre l’utilisation en tant que titre d’une autre œuvre », alerte et analyse Me Aittouares. Le titre en tant que marque va bloquer certaines exploitations dérivées de l’œuvre, mais la protection du titre en tant que tel est réduite. Le dépôt d’une marque peut s’avérer être un moyen efficace pour l’éditeur d’un livre qu’il souhaite protéger. Mais dans ce cas, le titre sera incontestablement rattaché à la maison d’édition. La Cour de cassation en 2011 a d’ailleurs rendu une décision dans ce sens. Elle a distingué « le titre d’une œuvre et l’identification de l’éditeur au regard de l’action à la marque par contrefaçon ».

Tout cela sans compter que l’opération est coûteuse et que la personne doit vérifier que son nom ne porte pas atteinte à l’ensemble des droits antérieurs. « Il faut aussi bien identifier son intérêt à protéger un titre d’un livre. Déposer une marque est une opération onéreuse et on s’expose à être poursuivi par d’autres personnes. Cela n’en vaut pas toujours la peine », explique Me Aittouares.

La concurrence déloyale

Enfin, un autre concept se retrouve en matière de protection du titre : la concurrence déloyale. Dans ce cas précis, le titre n’a aucune protection spécifique, aucun monopole juridique antérieur. « La concurrence déloyale est un instrument qui intervient quand vous n’avez pas de monopole. Cela permet d’interdire à quelqu’un qui pourrait être considéré comme concurrent d’utiliser votre réputation, votre travail dans son intérêt propre », précise Jean Aittouares.

Ainsi, si quelqu’un utilise le même titre et dans des circonstances particulières (bien souvent il faut jouir d’une certaine notoriété et que les deux œuvres dans leur contenu soient semblables) cela peut constituer une concurrence déloyale.

« Prenons un exemple, un polar s’appelant La maison bleue (ce qui n’est pas en soi un titre original) rencontre un succès particulier. Si un autre auteur sort également un polar portant le même titre et en fait, par ailleurs, la promotion en entretenant le flou, là il y a un risque de confusion ou même de laisser croire qu’il s’agit d’une suite par exemple. La concurrence déloyale peut permettre d’appréhender ce genre de situation », continue-t-il. Mais dans tous les cas, on a le droit d’utiliser un titre ancien du moment qu’on ne vient pas profiter de la notoriété d’un autre écrivain.

Toujours est-il que la protection la plus efficace reste le droit d’auteur, contrairement aux idées reçues. Les deux autres donnent bel et bien une protection aléatoire. Et, ne pas oublier que la grande majorité des livres en leur entier est protégée par le droit d’auteur. Une plume aiguisée et originale reste la meilleure des armes.

Auteur : Julie Torterolo

Source : www.actualitte.com

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