La rémunération supplémentaire des inventeurs salariés est une obligation légale depuis 1990 et les tribunaux font appliquer cette loi même si on peut regretter les montants parfois faibles de cette rémunération supplémentaire. Dans la majorité des cas, la créance n’étant pas déterminée la prescription n’a pas lieu d’être.
La Cour de cassation a sur ce point une jurisprudence claire et récente :
Cass. soc, 26 janvier 2012, Budajoux / Polimeri « Mais attendu que le délai de prescription d’une créance de rémunération court à compter de la date à laquelle le salarié a connaissance des éléments ouvrant droit à une rémunération. » « … les dispositions conventionnelles obligeaient l’employeur à communiquer au salarié inventeur, en vue d’une fixation forfaitaire de la créance prenant en compte la valeur de l’invention exploitée, les éléments nécessaires à cette évaluation […] que les fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise ne lui permettaient pas de connaître par lui-même ces éléments […] que l’employeur, qui les détenait, ne les avait pas communiqués au salarié, bien qu’il y fut tenu, et avait opposé un refus de principe à leur communication.
Cass.com, 12 juin 2012, Mouzin / Pierre Fabre « Attendu que pour déclarer prescrite cette action, l’arrêt retient que M. Mouzin avait connaissance, depuis plus de cinq années, de l’exploitation industrielle existante des inventions dont il est co-inventeur, partant de l’intérêt économique de ces dernières pour l’entreprise et de leur exploitation prévisible et donc d’une créance certaine et déterminable sur son employeur. » « Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans constater que M. Mouzin disposait des éléments nécessaires au calcul de la rémunération supplémentaire qui lui était due, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Les gouvernements successifs, sous l’influence des organisations patronales, se sont lancés dans une entreprise de destruction de cette disposition sur la rémunération des inventeurs salariés.
Tout d’abord sous le gouvernement Sarkozy par une diminution continue du délai de prescription :
La prescription de droit commun de 5 ans (article 2224 du Code civil issue de la loi 2008-561 du 17 juin 2008) :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La prescription des salariés de 3 ans (article L. 3245-1 du code du travail issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi) : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Le délai butoir (article 2232 du code civil) : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »
Puis est venu sous le gouvernement Hollande, L’article 175 de la loi dite « loi Macron » vient de modifier l’article L 611-7 -1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) en introduisant, en ce qui concerne les inventions de mission, une obligation pour l’employeur d’informer le salarié inventeur du dépôt de la demande de titre de propriété industrielle et, le cas échéant, de la délivrance.
« L’employeur informe le salarié auteur d’une telle invention lorsque cette dernière fait l’objet du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et lors de la délivrance, le cas échéant, de ce titre ».
Selon le rapporteur de cet article 175, cette précision vise à limiter le contentieux. Le salarié, mieux informé, sera alors davantage en mesure d’exercer son droit à rémunération supplémentaire.
Cette mesure montre bien s’il le fallait encore que celui qui a eu cette idée n’a pas interrogé d’inventeurs salariés. Car dans la pratique, c’est l’inventeur avec l’ingénieur brevet qui rédige la demande de brevet et il est donc bien au courant de la procédure… cette mesure qui part peut-être d’un bon sentiment est dans la plupart des cas inutile et peut-être dangereuse car dans la mesure où la loi prévoit expressément que le salarié devra désormais être informé de la date du dépôt d’une demande de brevet couvrant une invention qu’il a faite et, le cas échéant, de celle de la délivrance du brevet correspondant, il est raisonnable de penser que le délai de prescription ne pourra pas courir à l’égard du salarié s’il n’est pas a minima informé de ces éléments. La date d’information du salarié de ces événements pourrait constituer le point de départ du délai de prescription. Cette interprétation est une vision pessimiste de cette loi mais le risque n’est pas négligeable.
Si on cumule le raccourcissement des délais de prescription et la possible interprétation de la date d’information comme le point de départ du délai de prescription, on constate que les jeunes inventeurs salariés vont avoir de plus en plus de mal à faire valoir leurs droits.
Une mesure en faveur de l’innovation et de la jeunesse, notre futur à tous, est d’aligner de manière automatique le régime des inventeurs salariés sur celui du public similaire d’ailleurs au système efficace de l’Allemagne. Sans cela, le gouvernement Valls finira d’assassiner les jeunes innovateurs français.
Auteur : Jean-Florent Campion, ingénieur chimiste, président de l’association des inventeurs salariés
Source : blogs.mediapart.fr