« Savoir oser », répète Émile Ryckeboer. Le paysan de la Manche est l’inventeur des légumes en sachet, prêts à l’emploi.
Émile Ryckeboer, l’inventeur des légumes en sachet, se raconte dans un livre qui vient de paraître aux éditions Orep. Ce paysan de la Manche a su anticiper les modes de consommation de ses contemporains. Il a monté des affaires jusqu’aux États-Unis et en Australie.
« J’ai recouvert, hier, mes betteraves et mes salades contre le gel. » Dans son potager à Saint-Martin-de-Fontenay, près de Caen, Émile Ryckeboer n’a pas perdu la main. Ce retraité de 83 ans en connaît un rayon sur les légumes. Il y a une trentaine d’années, alors paysan à Geffosses (Manche), il a été le premier à vendre des légumes en sachet, prêts à consommer. La salade Florette, c’est lui. « Mes contemporains ne voulaient plus consacrer autant de temps à la préparation de leurs repas », rappelle-t-il dans son livre (1).
« Au début, personne n’y croyait. » Pensez donc : dépenser des « sous » pour ne plus avoir à éplucher les carottes, les pommes de terre… « J’ai commencé par des légumes pour la soupe, dans des sachets en polyéthylène de 500 grammes, conservés à 5 °C. »
Leader européen
Aujourd’hui, Florette est le leader européen des légumes en sachet. L’entreprise, filiale de la puissante coopérative Agrial, compte seize usines en Europe, dont cinq en France. Celle de Lessay (Manche), qu’Émile Ryckeboer a ouverte en 1987, produit plus de 15 000 tonnes de sachets et barquettes. Les 450 salariés découpent, rincent et conditionnent salades et légumes, apportés par 180 producteurs locaux. « Je voulais créer de l’emploi. L’argent n’a pas été le but de ma vie », confie-t-il.
Issu des Flandres belges, Émile Ryckeboer est arrivé en Normandie en 1948. « On était huit enfants qui balbutiaient le français. Mes parents avaient trouvé 130 ha de landes, à Pirou, dans la Manche, qu’il a fallu défricher. » En 1960, Émile s’installe sur des terres à Geffosses, au pays de la carotte de Créances. Il vend des blancs de poireau en bouquet. Puis les premiers sachets de légumes. Il réussit à valoriser le « vert » des poireaux et des carottes mal calibrées…
« Le magasin Monoprix de Coutances m’a accordé une place dans les rayons. Ils ont testé mes innovations. » Le matériel est fabriqué « maison ». Au début, la condensation dans les sacs empêche de voir les légumes. L’utilisation d’une essoreuse, opérant comme une centrifugeuse, règle le problème.
Émile Ryckeboer monte ensuite une chaîne de fabrication pour les salades. Une des premières ensacheuses automatiques arrive d’Angleterre. « Elle servait à emballer les bonbons. Les feuilles de salade se collaient sur la tôle en inox lisse et ne pouvaient avancer. » Il remplace l’inox par de la tôle gaufrée. Le film plastique ne défile pas ? Des guirlandes de Noël sont placées au-dessus du film… « Elles captaient l’électricité statique qui empêchait le film d’avancer. »
Explication musclée avec Coffe
La production se met enfin en route. Après le frais (premièregamme), la conserve (deuxième gamme) et le surgelé (troisième gamme), Émile invente la quatrième gamme : les fruits et légumes frais lavés, découpés et emballés se conservant à 4 °C durant plusieurs jours. Après le Salon de l’agriculture en 1984, les industriels, comme Bonduelle ou Andros, cherchent à s’associer pour construire une usine. Il reste fidèle à la Manche. « Je tenais à ce que le producteur de légumes soit bien payé. Qu’il sache, au moment de semer, combien il allait vendre sa production. »
L’arrivée dans les rayons de la salade en sachet suscite parfois l’hostilité des professionnels du légume. Et aussi de… Jean-Pierre Coffe. « Ce paysan n’a pas assez de cochons pour bouffer ses salades, il les donne à manger aux Parisiens… », avait-il déclaré à la télé.Résultat ? Une explication musclée entre le paysan normand et l’animateur de radiotélévision, dans ses bureaux du 15e arrondissement à Paris. Coffe avait rectifié le lendemain sur RTL.
Victime du succès, le paysan bricoleur devient industriel. En 1985, il cède 51 % de ses parts à la Casam, une des trois coopératives qui formeront Agrial. Les légumes vendus sous la marque Maringote puis Légum’express sont, en 1986, rebaptisés Florette, en référence au film Jean de Florette. Six mois plus tard, une usine voit le jour à Lessay, avec 350 salariés. Mais au début des années 1990, à 57 ans, Émile Ryckeboer se sépare de la Casam.
Il part vendre son savoir-faire aux États-Unis, en Australie et en Irlande. Il se met à l’anglais, écrit un manuel complet pour transférer la technologie.Des usines poussent à Los Angeles, Philadelphie et Cincinnati. Il touche « quelques centimes de dollar sur chaque vente… »
Jamais à court d’idées, il réinvente la purée. Une purée fraîche, de légumes, prête à l’emploi, à réchauffer au micro-ondes. Sans conservateur ni colorant. Nouveau succès. Il revend la société Créaline, à Agrial, en 2009. Créaline, Florette, deux fleurons aujourd’hui de la coopérative. « Émile Ryckeboer fait partie de notre histoire, avoue Ludovic Spiers, directeur général d’Agrial. Il a eu la conviction acharnée qu’il fallait vendre aux consommateurs plus que de simples légumes. Sans lui, la quatrième gamme ne serait peut-être pas produite en Normandie. »
(1) Émile Ryckeboer, paysan pionnier, Orep éditions, 224 pages, 19,50 €.
Auteur : Guillaume LE DU
Source : www.ouest-france.fr