Le Brexit suscite des interrogations sur le devenir des titres de propriété industrielle unitaires, tout particulièrement les marques de l’Union européenne et les dessins et modèles communautaires. Les titulaires doivent-ils s’attendre à une perte de droits ? Hans Peter Kunz-Hallstein répond en quatre points.
Primo, la convention de Vienne sur le droit des traités et les traités européens ne comportent certes aucune disposition expresse permettant de répondre à la question du sort des titres de PI au cas où un État membre quitte l’UE. Toutefois, soulignant notamment qu’il s’agit là d’un cas de changement de souveraineté, H.P. Kunz-Hallstein explique qu’un principe énoncé en 1923 par la Cour permanente de Justice internationale (1) est applicable par analogie : « des droits privés, acquis conformément au droit en vigueur, ne deviennent point caducs à la suite d’un changement de souveraineté (2). »
Secundo, en vertu de ses prérogatives, l’UE est habilitée non seulement à accorder des titres unitaires mais également, sous certaines conditions, à les annuler, les révoquer, les radier. Mais la sortie de l’UE d’un État membre ne compte pas parmi les motifs d’annulation, etc. De plus, il résulte de l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit de propriété que les détenteurs de titres de PI ont le droit de jouir de la propriété de ces titres, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Il s’ensuit qu’après le Brexit, l’EUIPO (3) et l’OCVV (4) ne seront plus compétents pour délivrer des titres produisant des effets au Royaume-Uni et les indications géographiques et appellations d’origine provenant du Royaume-Uni ne pourront plus faire l’objet d’une inscription au registre européen. Cependant, ni l’UE ni ses institutions ne seront en mesure de contester à leurs titulaires les droits acquis avant le Brexit.
Tertio, les traités européens et les actes dérivés ont été intégrés dans l’ordre juridique du Royaume-Uni via l’European Communities Act de 1972. Le Brexit, en soi, ne saurait donc entraîner une perte de droits. L’abrogation future du texte non plus : évoquant les intentions exprimées par le Gouvernement britannique, l’auteur indique que les titres unitaires devraient être transformés en titres nationaux britanniques. Par ailleurs, le Royaume-Uni est partie à la Convention européenne des droits de l’homme (incorporée dans le droit national via le Human Rights Act de 1988), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a dit pour droit que la propriété intellectuelle était protégée en vertu de l’article 1er du protocole additionnel, relatif à la protection de la propriété, et un État partie ne peut se soustraire aux obligations prévues par la Convention en rejoignant ou en quittant une organisation internationale. Aussi le Royaume-Uni sera-t-il tenu de garantir aux futurs titres nationaux issus de titres unitaires une protection au moins comparable.
Quarto, en ce qui concerne le renouvellement des droits attachés aux marques de l’UE et dessins et modèles communautaires en vigueur à la date de sortie du Royaume-Uni, H.P. Kunz-Hallstein estime que le Royaume-Uni et l’UE sont conjointement tenus de donner cette possibilité aux titulaires. À cet égard, il évoque entre autres l’article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme et l’« espérance légitime d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété » dont a fait état la CEDH. Il importera que ce point soit abordé lors des négociations de sortie.
(d’après l’article « Folgen eines brexit für den Fortbestand von einheitlichen Rechten geistigen Eigentums » de Hans Peter Kunz-Hallstein, Avocat à Munich)
(1) www.icj-cij.org/pcij/index.php?p1=9
(2) Publications de la Cour permanente de Justice internationale, série b, recueil des avis consultatifs, avis consultatif n° 6, 10 septembre 1923 : www.icj-cij.org/pcij/serie_B/B_06/Colons_allemands_en_Pologne_Avis_consultatif.pdf
(3) Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, euipo.europa.eu
(4) Office communautaire des variétés végétales, cpvo.europa.eu